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LA TRANSFORMATION DE LA CHINE.

caractérise. Les premières années qui suivirent la guerre de l’opium virent une période d’essais et de tâtonnemens, suivie dix ans après d’une période d’arrêt : le gouvernement chinois avait trop à faire avec les Taïpings, la guerre étrangère, les révoltés du Yunnam et du Turkestan, pour avoir le temps de s’occuper d’autre chose que de sa propre existence. Une nouvelle ère de progrès s’ouvrit ensuite, mais les réformes furent limitées à la construction d’une flotte : la Cour de Pékin ne voulait pas tout d’abord organiser l’armée chinoise sur des bases nouvelles, par suite des craintes que cette réforme lui faisait concevoir pour l’avenir de la dynastie. C’était l’époque d’ailleurs où les mandarins étaient hostiles à toute innovation venue d’Occident et où le peuple détruisait les premiers rails de chemins de fer posés sur territoire chinois. Ce ne fut que bien plus tard, après la guerre du Tonkin, que Li-Hung-Chang fit œuvre moderniste en organisant à l’européenne l’armée du Petchili. Après la guerre japonaise, il y eut une recrudescence nouvelle dans le mouvement réformateur, bientôt suivie d’un recul après la disgrâce de Kang-You-Wéï. Mais après les événemens de 1900, qui ont agi comme un violent excitant sur l’âme chinoise, le mouvement réformateur paraît, malgré quelques incidens, définitivement l’emporter, et c’est sous une poussée pour ainsi dire irrésistible de l’opinion que le gouvernement en a pris la direction. Se sentant menacé par le péril extérieur et débordé par les nouvelles aspirations à l’intérieur, il s’est retourné avec souplesse vers la population vaincue, a solidarisé son intérêt avec le sien et a tiré parti, pour sa défense, de forces dont il devrait tout redouter.

En ce moment, la direction du mouvement réformiste est assumée par le prince régent Tchouen, frère de l’empereur défunt. Le caractère et les tendances de ce prince sont peu ou mal connus en Europe et y ont fait, à l’occasion de son arrivée au pouvoir, l’objet d’appréciations et de jugemens que ses actes ultérieurs devaient démentir. Il est vrai que le prince Tchouen, membre du Grand Conseil de l’Empire, corps composé, comme on sait, d’une demi-douzaine de grands personnages dont les décisions sont d’habitude contresignées par le souverain, avait, pendant la longue durée du règne effectif de Tseu-Hsi, fait fort peu parler de lui. Cette femme despotique concentrait en elle tout le gouvernement, et ses volontés, inspirées