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souvent en France, mais c’est hors de France qu’elles sont essayées, expérimentées et finalement mises à profit. Qu’a répondu à cela M. le ministre de la Guerre ? II a dit qu’il « cherchait sa voie. » L’administration militaire allemande cherche aussi la sienne, mais elle la cherche expérimentalement à travers les airs, tandis que nous cherchons la nôtre, — encore n’est-ce pas bien sûr, — par des études de laboratoire ou de cabinet. Si la guerre éclatait demain, l’armée allemande aurait, pour l’éclairer, toute une flottille de dirigeables et d’aéroplanes à laquelle nous n’aurions rien à opposer. Cette constatation a jeté le Sénat dans un trouble qui n’a pas diminué lorsque le général Langlois, succédant à M. Reymond, est monté à son tour à la tribune, pour le contredire ? non, mais pour le compléter. Le même esprit d’insouciance, a-t-il dit, qui a produit, dans l’ordre de l’aérostation, les conséquences décrites par M. Reymond, ne s’exerce pas là seulement, il s’exerce partout dans les choses militaires. Nous sommes en retard, non seulement sur les Allemands, mais sur les Italiens, mais sur les Anglais, qui ont su, eux aussi, s’approprier nos découvertes alors que nous n’en avons tiré nous-mêmes aucun avantage. De pareilles allégations sont graves, certes ! surtout dans une pareille bouche. M. Reymond a enlevé le Sénat un peu par surprise ; il montrait pour la première fois des connaissances techniques et un talent oratoire qu’on ne lui connaissait pas encore à ce degré. M. le général Langlois, au contraire, est considéré, à juste titre, comme la plus haute compétence militaire dont le Sénat puisse s’honorer et s’éclairer. Comment n’être pas frappé de la force de sa parole et de l’énergie de sa conviction ?

En écoutant tous ces orateurs, instruits, savans, patriotes, auxquels il était impossible de ne pas donner raison, M. le ministre des Finances, assis sur les bancs du gouvernement, paraissait encore plus soucieux que ses collègues. Et quoi de plus naturel ? Ces discours, en effet, sont gros de dépenses nouvelles qu’il faudra faire dans un temps très prochain. Il faudra en faire pour l’armée ; il faudra en faire aussi pour la marine, et tout le monde le sait bien. Nous avons eu quelques ministres de la Marine qui nous ont coûté très cher. Sous leur administration décousue, notre marine qui était, il y a peu d’années, la seconde, est tombée aujourd’hui au quatrième, peut-être au cinquième rang. Nous résignerons-nous à cette déchéance ? Le pouvons-nous ? L’état du monde nous le permet-il ? La politique coloniale que nous avons suivie depuis un demi-siècle, et plus, ne nous impose-t-elle pas d’autres devoirs ? Il ne saurait y avoir qu’une réponse à ces questions.