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et ils reçoivent, avec un aspect inattendu, une valeur singulière. Quiconque prend à la vie intellectuelle un intérêt, même minime ; quiconque pense et lit, est forcé de la voir se manifester : elle s’impose à tous les esprits, qu’ils en aient conscience ou non, de bon ou de mauvais gré. Au théâtre, sous les noms anciens destinés à cacher les personnages modernes, à travers les voiles que la prudence est obligée d’adopter pour contenter la censure, le spectateur fait de la politique. La poésie lyrique continue et renforce la tradition d’Alfieri et de Foscolo : ce ne sont pas les joies et les peines des individus qu’elle chante, mais les douleurs de la patrie. Dans le roman, qui au XVIIIe siècle semblait le pur domaine de l’illusion, naît le souci de la réalité : et voici le triomphe du roman historique ; aussi naturel, aussi opportun, aussi nécessaire qu’il sera factice en France ; d’un succès aussi durable et d’un effet aussi sûr, qu’en France son influence sera faible et son éclat passager. L’histoire aussi prend une teinte nationale : quand elle semble s’intéresser à autre chose qu’aux événemens d’Italie, c’est encore pour y ramener les esprits par comparaison. L’idylle même ne laisse pas de devenir volontiers patriotique ; et patriotiques, les hymnes sacrés. La philosophie entre dans la voie qu’elle suivra pendant la période postérieure ; elle cherche à établir sur des bases psychologiques et métaphysiques le nationalisme et le libéralisme. Il n’est permis à aucun genre de se désintéresser de l’indispensable préparation dont les écrivains assument désormais la tâche ; à aucun, pas même à la rhétorique, pas même à la grammaire.

Tout le mécanisme de la littérature, l’idée nationale l’explique. Tout près du passé, auquel il est attaché encore par tant de liens, nous aurons le pur artiste de la forme, le virtuose du style, l’académicien parfait qui vit dans le culte et dans la superstition des mots. Soucieux de limer les phrases à son établi, il ne regarde pas volontiers au dehors. Mais qu’on ajoute aux élémens de ce caractère un élément nouveau, l’idée nationale : tout est transformé. L’artiste emploie son art à plaider la cause de la liberté ; le dilettante se fait emprisonner trois fois par les gouvernemens autoritaires que sa hardiesse effraie ; le rhéteur, proclamant le devoir de parler italien pour penser italien, fait servir ses défauts mêmes à la cause commune. Tel est Giordani. — Classique aussi, adoptant sans y rien changer