Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
817
LA CROISSANCE DU CUIRASSÉ.

besoins une grande part des poids et de la place disponibles à bord. Au delà d’un certain point, pour gagner un nœud, il faut augmenter les puissances de machine et les consommations de charbon dans des proportions considérables. Le Danton, qui dépense 22 500 chevaux pour 19 nœuds 1/4, se contente de 3 260 à 10 nœuds ; et s’il pouvait donner 21 nœuds, il ne lui faudrait pas moins de 30 500 chevaux. Mais il en serait incapable, armé comme il est, faute de pouvoir et porter et loger assez de chaudières. Pour l’y rendre apte, il deviendrait nécessaire d’augmenter son déplacement, donc encore une fois sa puissance motrice. On aboutit ainsi à une différence d’au moins 10 000 à 12 000 chevaux pour le gain seulement d’un nœud et quart. Si l’on calcule en poids l’augmentation correspondante des machines, des chaudières, du charbon, du personnel, on arrive à plus de 1 000 tonnes, chiffre à tripler pour tenir compte enfin du supplément de tonnage nécessité par une coque agrandie en conséquence. Tel est le prix de la vitesse. Jointe à la force offensive et défensive, dont nous avons vu les exigences, elle définit le cuirassé moderne, et achève de fixer son déplacement entre 20 000 et 25 000 tonneaux aujourd’hui, entre 25 000 et 30 000 vraisemblablement demain. Il lui faut alors de 150 à 200 mètres et bientôt près de 250 de long, 30 à 35 de large, 8 ou 10 de tirant d’eau : le volume d’une cathédrale.

On s’inquiète parfois de ces dimensions gigantesques. « Comment manœuvrer de pareils monstres, les faire évoluer en escadre, les diriger pendant le combat ? » Certes, la difficulté de ses mouvemens individuels, pour chaque bateau, s’accentue avec sa masse et sa longueur. S’il devait combattre seul, on aurait lieu d’hésiter devant un alourdissement qui pourrait compromettre à cet égard, et son emploi sur le champ de bataille, et par conséquent sa valeur comparative. Du moins conviendrait-il de restreindre les longueurs et de changer les formes : c’est le raisonnement qu’il eût fallu tenir, par exemple, après Lissa, quand la mêlée semblait inévitable, et que le dernier mot appartenait à l’éperon. La tactique du navire isolé tenait la première place. Pour le combat aux grandes distances, pour le duel d’artillerie, il n’en va pas de même. L’acte de guerre qui assure la maîtrise des océans n’est pas une suite de combats singuliers,