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100 kilos de cassonade l’où ne tirait que 67 kilos de raffiné. Cette question du raffinage fournit, depuis Henri IV jusqu’à Louis XVI, la matière de copieux rapports administratifs ; elle fut l’objet de contentions perpétuelles entre la France et la Hollande, puis entre nos colonies d’Amérique et la mère patrie et, à l’intérieur, entre diverses villes, telles que Rouen, Orléans ou La Rochelle, qui se disputaient âprement le monopole.

Les premiers « affineurs, » sujets de « Messeigneurs les Etats » des Provinces-Unies, qui avaient « dressé des instrumens » sur divers points de notre littoral, non sans exciter, en leur qualité de huguenots, les défiances du gouvernement de Louis XIII, furent concurrencés plus tard avec succès par la Guadeloupe et Saint-Domingue. Au lieu de « se contenter, dit un mémoire virulent de 1685, de cultiver le sucre que la France leur fait la grâce d’aller prendre dans leurs plantations mêmes, » ces îles eurent l’audace « de nous vouloir bailler lesdits sucres tout raffinés. » On leur prédisait qu’en agissant ainsi elles réduiraient le fret de retour des navires, « qui vont leur porter du blé, du vin, des chairs salées, etc., » et qui, découragés de faire cette traversée, « laisseraient ces gens, à l’autre bout du monde, exposés à la disette et au manque de toutes choses. »

Il paraît que ces sinistres perspectives n’empêchèrent pas les Antilles de persister dans une industrie, sans doute bien modeste, car la cassonade l’emportait de beaucoup dans l’usage sur le sucre en pain. Quoique le miel, dont on s’était servi au moyen âge en guise de sucre, eût baissé de prix depuis les temps modernes jusqu’à ne plus valoir que 2 fr. 50 le kilo sous Louis XVI, — aujourd’hui 0 fr. 75, — il était totalement dédaigné au XVIIIe siècle. Malgré la préférence accordée au sucre pour ses qualités propres et sa supériorité saccharimétrique, la consommation française de 1779 n’était que de 380 000 quintaux ; en 1831, elle avait à peine doublé, — 749 000 quintaux. — Elle est, aujourd’hui, de 6 millions et demi de quintaux, soit de 16 kilos par tête.

C’est peu au regard des 40 kilos de l’Angleterre ; c’est beaucoup par rapport aux 2 kilos de la France d’il y a quatre-vingts ans. Brillat-Savarin nous cite le mot d’un ami qui disait, au temps du blocus continental, lorsque le sucre était à 10 francs le kilo : « Si jamais il revient à 3 francs, je ne boirai jamais d’eau qu’elle ne soit sucrée. » En 1826, le sucre valait 2 fr. 50 à 3 fr. 20