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L’ÉVOLUTION DES DÉPENSES PRIVÉES.

18 faïenciers en 1786 ; à la fin du Premier Empire il n’en restait plus. À la belle époque de Delft (1650), il s’y trouvait 43 manufactures occupant 10 000 ouvriers ; en 1764, il y en avait encore 29 ; en 1794, il n’en subsistait plus que 10. Il n’y en a qu’une aujourd’hui et l’on y fait… de la « faïence fine. »

Celle-ci, qui de l’ancienne n’a rien conservé, ni la substance, ni la « couverte, » est d’une tout autre solidité. C’est la seule à peu près qui se fabrique aujourd’hui dans les usines modernes de Gien, Sarreguemines, Lunéville, Longwy ou Choisy-le-Roî. Blanche comme la porcelaine, comme elle composée de kaolin, de sable et de feldspath et vitrifiée parfois comme elle, la faïence fine ne s’en distingue que par une certaine proportion d’argile champenoise ou étrangère qui s’oppose à la transparence.

Très supérieure à l’usage, cette faïence coûte dix fois moins cher que celle d’il y a cent cinquante ans. On est parvenu à établir de jolis services à 25 francs et la douzaine d’assiettes blanches communes, que l’on cotait 3 francs en gros il y a un tiers de siècle, est maintenant cédée pour 1 fr. 25.

La même révolution s’est produite dans la porcelaine : lorsque, vers les dernières années du règne de Louis XIV, où, pour imiter la pâte de Chine que les Hollandais importaient en France, Chicoineau avait fondé la manufacture de Saint-Cloud, la « pâte tendre, » dont il était l’inventeur, constituait un luxe plus onéreux que l’argenterie : six tasses avec leurs soucoupes se vendaient 120 francs et un service à thé 1400 francs. Ces chiffres élevés ne tenaient pas au prix de la matière — quoique la pâte, d’une cuisine fort compliquée, revînt à 5 francs le kilo au xviiie siècle, tandis que la pâte actuelle de l’industrie vaut 0 fr. 12 ; — mais cette « porcelaine de verre » était au premier chef anti-industrielle, peu plastique et très pénible à façonner, surtout d’une cuisson pleine de hasards. À l’ancien Sèvres, commandité par le Roi et par Mme  de Pompadour qui espérait faire une bonne affaire, il fallait briser à la sortie du four les trois quarts des pièces. Un quart, un tiers au plus n’étaient pas endommagés. L’usage du kaolin, depuis 1709, et la création d’ateliers concurrens n’abaissèrent pas assez le prix des porcelaines, pour qu’elles pussent franchir le seuil des foyers modestes.

Ce progrès s’est réalisé depuis quarante ans par une série de découvertes dues à la physique, à la chimie, à la science de