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propreté : « Il faut se laver en présence les uns des autres, quand même on n’en aurait pas besoin, afin que ceux avec qui on met les mains dans le plat ne puissent douter si elles sont nettes. » Le traité de Civilité, qui s’exprime ainsi, nous découvre, comme tout ouvrage de ce genre, à la fois les coutumes existantes et leurs défauts récemment aperçus, dont la correction inaugurera des coutumes nouvelles.

Il se fit en cent cinquante ans (1550-1700), dans la tenue de la bonne compagnie, une évolution plus marquée encore que celle des heures du dîner qui, de dix heures du matin sous François Ier fut reculé à midi sous Louis XIV, à deux heures sous Louis XVI, à cinq heures au début du xixe siècle, pour arriver aujourd’hui à 8 heures du soir. L’étiquette du moyen âge, qui ne reconnaissait pas à de grandes dames le droit d’avoir une table à doubles nappes, leur pain enveloppé et un maître d’hôtel avec bâton en main, — tous honneurs réservés aux seules princesses, servies par des gentilshommes portant la serviette sur l’épaule et non sous le bras, comme chez les personnes de moindre dignité ; — cette étiquette, si pointilleuse sur la distinction des rangs, n’avait rien décidé quant au sort des déchets de viande, des os, des épluchures de fruits ou des restes de légumes, que chacun jetait simplement derrière son dos et que les domestiques balayaient. Plus tard, agir ainsi devint vulgaire et prohibé.

Le manuel du bon ton, « la Galathée, » venu d’Italie au xvie siècle (1544) et traduit en toutes les langues au siècle suivant, portait qu’ « il n’est pas honnête de se gratter étant à table. Il faut aussi, en ce temps-là, que l’homme s’abstienne de cracher autant qu’il lui sera possible et, s’il lui faut en venir là, qu’il le fasse de quelque gentille façon. » — Chacun sait que, sous Louis XIV encore, dans les appartemens on crachait par terre : — « J’ai ouï dire qu’il se trouvait des nations si sobres que jamais elles ne crachaient ; nous nous en pouvons abstenir pour un peu de temps. Nous ne devons aussi pas prendre la viande si goulûment que le sanglot en vienne, comme fait celui qui se hâte par trop. Il est contraint de perdre haleine et de souffler, qui cause ennui et regret à toute la compagnie. »

Il n’est pas étonnant qu’Henri III prescrive, par ordonnance spéciale, que « Sa Majesté veut qu’étant à table, l’on se tienne un peu loin d’elle, afin qu’elle ne soit pressée et que nul ne