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LE ROI ET LA REINE DE NAPLES.

sur-le-champ des fonds et que tu m’en assignes régulièrement par mois, outre ce que je touche à Naples.

« Adieu, mon cher ami, je t’aime bien tendrement. »

À l’instant où Campo-Chiaro muni de ces lignes va se mettre en route, la Reine reçoit de Murat une lettre qui l’affole ; le Roi se déclare à bout et sur le point d’abdiquer. La Reine bouleversée supplie l’ambassadeur de courir tout de suite à Naples en messager de rassurance, de ne s’arrêter nulle part, de voyager comme un courrier, afin d’arriver à temps pour prévenir une résolution fatale. Campo-Chiaro promet tout, et puis, avec l’indolence napolitaine, au lieu de se hâter, voyage à pas comptés, traîne en route, s’arrête et flâne en plusieurs villes, prend largement son temps et ses aises. Voulait-il se réserver en prévision d’un changement de régime à Naples, s’absenter des événemens dans leur moment le plus critique ? S’il ne trahissait pas le Roi, il trahissait au moins la confiance de la Reine qui lui en voudrait mortellement.

Murat cependant ne donna pas suite aux résolutions annoncées. Au dernier moment, mieux inspiré ou mieux conseillé, il céda quelque peu aux exigences françaises, fit ouvrir Gaëte à nos troupes qui se préparaient à y entrer par effraction ; le conflit matériel fut évité ; on échappait à l’irréparable. À Paris, Caroline travaillait pour le royaume, démentait les bruits d’annexion, rectifiait ou retournait l’opinion d’hommes à ménager. Savary provoqua de lui-même une explication ; ce diable paraissait moins noir qu’on ne le supposait ; il faisait, en tout cas, le bon apôtre, promettait d’arrêter les fâcheuses rumeurs et reconnaissait que l’Empereur conservait pour le ménage « un fonds d’attachement » dont on avait pu s’apercevoir même dans les instans les plus périlleux. Caroline se prit un peu plus à l’espérance de voir le royaume survivre à la tourmente actuelle et d’ « arranger les affaires » lors du retour de l’Empereur.

En attendant, « elle pousse le temps avec les épaules, » comme elle dit ; elle soigne sa santé et se détend un peu dans la compagnie de ses proches. De toute la famille, il n’y avait alors à Paris, en plus du cardinal oncle, que Madame Mère et Paulette. La princesse Paulette revenait d’une cure à Spa, mais elle rentrait toute confuse et se sentait sur la conscience un gros péché ; ayant passé trois jours à Anvers, elle avait fort étourdiment négligé de se rendre à Bruxelles, où se trouvaient alors