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LE ROI ET LA REINE DE NAPLES.

séjour de Murat à Madrid. Il n’est pas besoin d’ajouter que, dans les communications entre le Roi et la Reine, entre la Reine et l’Empereur, aucune allusion n’est faite à cette affaire, qui devait prêter contre Murat, sous la Restauration, aux plus outrageantes imputations[1]. La vérité, c’est que Napoléon flairait chez Murat des curiosités indiscrètes et que Savary cherchait de quoi perdre politiquement un ennemi.

Des pièces compromettantes existaient en effet. Plusieurs lettres reçues ou écrites par Aymé, remontant à 1809, portaient indice de la velléité qu’avaient eue alors Talleyrand et Fouché, pour le cas où Napoléon périrait en Espagne, d’élever Murat au pouvoir suprême en France, par violation de l’ordre successoral établi et du droit dynastique. Murat connaissait l’existence de ces lettres ; aussi, l’arrestation d’Aymé et la saisie de ses papiers, c’est pour lui le dernier coup. Déjà, il se voit en butte à une accusation de projets usurpateurs ou tout au moins de prévoyance sacrilège ; il se voit jugé sur pièces et condamné irrévocablement dans l’esprit de l’Empereur. Dans cette extrémité, que faire ? Il tombe malade, prend la fièvre, passe par des alternatives d’exaltation morbide et de dépression.


II

Son imagination grossissait encore une fois le péril. Certes, le décret du 14 juin avait courroucé l’Empereur ; certes, le traitement infligé à la Reine et dont il avait parfaitement connaissance, l’indignait ; l’affaire d’Aymé, bien qu’il eût tout de suite réduit l’incident à sa juste valeur, accroissait son irritation. Cependant, dans cet instant même de grande colère, on ne saurait lui attribuer l’intention arrêtée et ferme de réduire Naples en province française, d’anéantir le royaume, de détrôner Murat et de le traiter comme il a fait du roi Louis. Il lui en coûterait de désespérer Caroline, et comme en même temps il perdrait trop à se priver irrévocablement de l’homme qui, en cas de guerre, peut électriser sa cavalerie, son intention est de ne sévir qu’à la dernière extrémité. Ce qu’il veut à toute force, c’est de réduire Murat à l’obéissance et de le mater, c’est de lui imposer

  1. Sur la façon dont s’opéra en 1808 la transmission des diamans de la couronne d’Espagne, les archives Murat contiennent des documens péremptoires.