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Murat voyait fondre sur lui l’orage. Par une appréciation erronée, il attribuait son malheur moins à son décret et à sa politique qu’à des imputations perfides. Il se figurait que Daure et Lanusse qu’il avait obligés à démissionner, rentrés maintenant en France, allaient partout répandant sur son compte des calomnies et des noirceurs. Il s’imagine qu’à Paris toute sorte de gens lui en veulent, et c’est surtout autour de lui que l’intrigue est au comble ; c’est à Naples que pullulent les artisans de brouille, les pêcheurs en eau trouble, intéressés peut-être à profiter de son désastre. Son colonel des gardes Lavauguyon, revenant de Paris, cherche à l’affoler ; Murat, il est vrai, éconduit ce personnage, mais, circonvenu d’équivoques menées, parmi les courtisans suspects qui l’entourent, parmi ces Napolitains plats et faux, au milieu de leur zézaiement menteur, le malheureux Roi n’arrive plus à se reconnaître. Et ses démarches pour se faire valoir à Paris et surtout pour se renseigner, les correspondances où il se prodigue, les manœuvres où il s’égare, tournent contre lui ; elles vont lui attirer un suprême désagrément.

Il avait toujours eu la passion de contrôler ses renseignemens officiels par une sorte de police intime. À Paris, son principal informateur était un certain Aymé, frère de son premier chambellan. Il y avait au service du Roi deux frères Aymé qu’il faut se garder de confondre. Celui de Naples était simplement personnage de cour, étranger aux besognes secrètes, mal vu d’ailleurs de la Reine. L’autre, celui de Paris, s’était fait transmetteur de renseignemens, qu’il puisait souvent en milieux interlopes et recruteur de sous-agens. Il entretenait avec Murat une correspondance secrète et lui envoyait des feuilles de nouvelles, des avis, des bulletins intercalés dans les numéros du Moniteur, l’écho des clabaudages parisiens et surtout des rumeurs d’opposition. Il est probable que ce manège n’avait pas échappé à Fouché ; il l’avait toléré parce qu’il voyait en Murat un ami d’ancienne date et une carte possible dans son jeu. Savary, successeur de Fouché, n’avait pas les mêmes raisons de ménager le roi de Naples qui l’exécrait. En août, l’Empereur prévenu donna l’ordre d’arrêter Aymé ; la police le cueillit et l’envoya à Vincennes ; on perquisitionna chez lui rue de la Victoire ; ses papiers furent saisis. L’un des prétextes invoqués était de rechercher les auteurs d’un soi-disant vol de diamans commis par des Français au préjudice de la couronne d’Espagne, pendant le