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REVUE. — CHRONIQUE.

le vouloir peut-être, il l’a si bien expliqué qu’on pourrait croire qu’il l’a justifié. Le tableau trop ressemblant qu’il a tracé de la vie politique, telle qu’on la pratique généralement aujourd’hui, n’est pas fait pour encourager les débutans. M. Poincaré a procédé par apologue ; il a eu recours à la fiction ; mais combien cette fiction est conforme à la réalité ! Il a pris un brave notaire de province et l’a fait élire député. Notre homme arrive donc à la Chambre. Dans un roman que nous publions en ce moment même, M. Paul Margueritte, qui traite un sujet analogue, montre, chez un député, la rapide détérioration des mœurs privées parmi des tentations auxquelles il ne résiste guère et qui deviennent de plus en plus fortes à mesure que son succès grandit. Le héros de M. Poincaré n’est pas moins favorisé de la fortune ; il est éloquent lui aussi ; il devient ministre lui aussi, et peu à peu, assez vite, l’influence délétère du milieu agit sur sa morale qui chancelle et sur sa volonté qui défaille. C’est un honnête homme pourtant, mais des obligations impérieuses s’imposent à lui. Ne faut-il pas, pour conserver sa clientèle, qu’il sacrifie les uns après les autres les intérêts généraux aux intérêts particuliers ? Nous espérions du moins que son élévation au gouvernement, en le faisant entrer dans une région supérieure, l’affranchirait de certaines servitudes et lui permettrait de redevenir lui-même. Mais M. Poincaré, — et nous devons l’en croire sur parole, — affirme que dans le Conseil des ministres, il n’entend parler que des combinaisons à inventer et des concessions à faire pour vivre, toujours pour vivre. Encore une illusion qui s’évapore ! Bref, le héros de M. Poincaré, déçu, humilié, déconsidéré à ses propres yeux, jette le manche après la cognée, ou, si l’on veut, son portefeuille par-dessus la tribune de la Chambre, et s’en retourne dans sa province pour faire des actes notariés. Encore une fois, M. Poincaré ne l’approuve pas, car, dit-il, « il ne faut pas déserter le champ de bataille. » Soit : restons sur le champ de bataille, à une condition toutefois, c’est qu’on nous donne, pour y faire figure, des armes de bon aloi, des armes qui portent. Tel est bien d’ailleurs l’avis de M. Poincaré.

Dans la campagne brillante qui se poursuit en faveur du scrutin de liste avec représentation proportionnelle, il a tout de suite pris position au premier rang, nul n’étant plus convaincu que lui que, si elle n’est pas à elle seule une panacée, cette réforme est la condition de toutes les autres, celle par conséquent qu’il faut faire la première, celle qui permettra peut-être à la législature prochaine de présenter quelques heureuses différences avec celle-ci. Nous ne résistons pas au plaisir