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goût, combien nous lûmes éloignés ! Tenterai-je un rapprochement que je souhaite ? Hélas ! après l’admirable interprète, écouterez-vous seulement un pauvre critique ? Où la beauté fut impuissante, que pourront quelques vagues paroles autour de la beauté ! Je demande pour elles votre indulgence, et rien de plus.

L’arietta, — c’est le modeste nom que donne Beethoven au colossal et dernier morceau de sa dernière sonate, — l’arietta de l’Op. 111 forme avec certaines pages, contemporaines et similaires, du maître (l’andante de l’Op. 109 et les trente-trois variations sur une valse de Diabelli), le sommet ou l’apothéose de ce « genre : » les variations.

Les variations, — les véritables, celles qui remplissent en quelque sorte leur condition supérieure et tout entière, — ne se contentent pas de revêtir un thème, ou de former, de changeantes mais extérieures parures. Elles y apportent des modifications plus profondes. Par exemple « elles le transposent de majeur en mineur, elles le font passer de la mesure à 2/4 ou à 4/4 en mesure à 3/4, pointent ou syncopent les rythmes, introduisent quelques motifs nouveaux étrangers au thème, voilent le thème sous un contre-chant plein de charme, élargissent ou rétrécissent l’Ambitus de la mélodie, dans laquelle elles intercalent de nouvelles gradations ou retranchent quelques-uns des sons extrêmes[1]. » Un seul principe domine tout ce travail, une condition unique en restreint la liberté : « c’est que, d’une manière ou de l’autre, l’idée principale, le thème, soit maintenu en conscience chez l’auditeur[2]. » En conscience, nous retrouverons et reprendrons ces deux mots-là tout à l’heure.

Le thème de l’a de l’Op. 111, exposé d’abord, est en soi d’une grande beauté. Très simple, très lent, il se compose de deux parties ou de deux reprises, l’une et l’autre dans le ton d’ut majeur, sauf, au début de la seconde, le passage et comme l’ombre furtive, sur quelques mesures, du ton de la mineur. Le caractère de ce chant est la contemplation et la paix. S’il n’est pas sans mélancolie, il est du moins sans trouble. Et puis, et surtout, il a cette ampleur, cette généralité que Wagner admirait si fort dans les plus grandes idées beethoveniennes, par exemple dans le motif du finale de la Symphonie avec chœurs, et qui leur donne en quelque sorte une puissance d’expression ou de représentation infinie. « Harmonies d’immensité, » a dit, je crois, Chateaubriand de certains accords. On peut le dire également de plus d’une mélodie de Beethoven en sa forme

  1. Riemann, Dictionnaire de musique (art. Variations).
  2. Id. ; ibid.