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idées, ni par l’intérêt, l’expression, ou l’agrément des timbres. Ainsi, pas de couleurs et pas de lignes. Nul contentement pour l’esprit, et, pour l’oreille, aucune volupté. La symphonie, en admettant même, — cela s’est rencontré, — qu’elle ne soit pas une combinaison de sonorités agréables, doit être, sous peine de n’être rien, un ordre, un organisme, une hiérarchie de formes et de forces qui soutiennent ensemble des rapports logiques, harmonieux. Elle comporte encore une fois, elle exige même l’esprit de suite, le progrès, l’évolution d’une pensée unique, voire la rencontre et la combinaison de diverses pensées. De tout cela, je n’oserais décider ce qui manque le plus à la musique de la Forêt

On nous trouvera sévère et peut-être en avons-nous trop dit. Mais aussi c’est qu’ils nous en font trop, les musiciens de l’heure présente, au moins la plupart d’entre eux. Ils nous font une musique et finiront par nous faire toute musique fastidieuse, pénible, haïssable. « Mon enfant, » gémissait déjà Gounod, il n’y a pas loin d’un quart de siècle, « la musique devient irrespirable. » De plus en plus elle nous asphyxie. Le même Gounod, dans sa dédicace au pape Léon XIII de sa partition de Mors et Vita, souhaitait que son œuvre augmentât la vie en ses frères : « ad incrementum vitse in fratribus meis. » Des œuvres comme la Forêt, qui sont nombreuses, amoindrissent au contraire et paralysent la vie en nous. Les entendre, c’est mourir un peu.

Par bonheur, en poésie comme en musique, parfois dans l’une et dans l’autre ensemble, il y a d’autres forêts. Faut-il rappeler tant d’harmonieuses retraites ? Et d’abord cette forêt de Gastine, victime aussi de la hache, plainte aussi par la poésie, et que la musique épargna :


 
Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras.
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas :
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force,
Des nymphes qui vivaient dessous la rude écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses !


Ce début, et tout ce qui suit, n’est-ce pas l’idée première peut-être, l’esquisse et le crayon léger des deux tableaux que nous a montrés l’Opéra ? Entrez à présent dans le Bois épais de Lully : vous y trouverez une ombre en quelque sorte farouche et comme tout imprégnée d’amour et de douleur. Souhaitez-vous de plus tranquilles