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jeunes filles comme des filles, cela n’a aucun rapport avec la comédie de mœurs ; nous nageons en pleine fantaisie ; nous sautons à pieds joints dans l’impossible : c’est le théâtre dans la lune.

Mme Bady joue le rôle de Mme Armaury avec sa nervosité coutumière. La sécheresse de M. Dumény fait merveille dans le rôle pénible d’Armaury. Mlle Monna Delza a beaucoup de grâce originale sous les traits de Diane de Charance.


C’est une malchance pour un auteur de donner sa pièce au lendemain du grand succès d’un confrère. Cette malchance a été celle de M. Romain Coolus. La presse venait de faire une telle dépense d’épithètes pour la Vierge folle, qu’elle s’est trouvée prise au dépourvu quand Une femme passa. Cette femme a passé presque inaperçue. Et c’est fort injuste ; car il y a dans la nouvelle pièce de M. Coolus d’incontestables qualités : j’y ai même applaudi un second acte qui est, à mon avis, et de beaucoup, ce que M. Coolus a fait de mieux.

Ce sont encore ici les fredaines d’un quadragénaire, les gaietés d’un homme rangé qui se dérange. Le professeur Darcier est un de nos plus savans praticiens. Il donne tout son temps au travail ; il ne songe pas du tout à s’amuser ; c’est le modèle des maris. Mais il est homme, il est faible, il ne résistera pas aux premières agaceries d’une coquette, la belle Mme Sormain. Le changement qui s’est fait en lui ne saurait échapper à la tendresse jusque-là si confiante, maintenant si inquiète, de sa femme. Et c’est le supplice d’une épouse qui commence.

Chez la femme qui sent son mari lui échapper, qui doute encore ou veut douter de la réalité de son malheur, qui est partagée entre la colère et la pitié, qui veut ressaisir l’infidèle et qui redoute par une démarche imprudente de tout compromettre, quel drame intime, intense, poignant ! Nul ne l’a écrit, nul ne l’écrira. Tout ici n’est que soupirs, secrets battemens du cœur, nuances insaisissables : les mots trop concrets, trop lourds y sont une trahison. C’est le mérite de M. Coolus de nous avoir du moins donné l’impression que ce drame se joue dans l’âme troublée de Mme Darcier, et de nous avoir laissé en deviner les péripéties. La scène principale du second acte qui met en présence Mme Darcier et son mari est d’une délicatesse de touche et d’une vérité tout à fait remarquables.

Il se trouve que la femme qui passe est une de ces femmes qui passent par toutes sortes de bras. Une combinaison terriblement artificielle met en présence Darcier et un des amans de Mme Sormain.