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mari converser ensemble, cependant qu’elle-même allait délivrer Diane, la mettait en fiacre et lui faisait réintégrer le domicile paternel… Tel était l’unique dénouement possible : le reste est invention gratuite et fantaisie toute pure.

Le troisième acte est tout en discours. C’est dans l’hôtel où Armaury est descendu aux environs de Londres. Là aussi tout le monde s’est donné rendez-vous. Tour à tour l’abbé Roux, le duc de Charance et Gaston, Mme Armaury feront entendre leurs doléances. Armaury plaide sa cause ; et nous constatons que le talent de cet avocat est fait surtout de cynisme. Duels d’éloquence, mais l’action n’avance guère.

Nous nous dédommagerons au dernier acte. Le drame se resserre ; le danger menace ; il est, — littéralement, — à la porte de l’appartement où Diane et Armaury ont espéré trouver pour cette nuit un nid d’amour. Gaston rôde dans les couloirs, prêt à faire un malheur. C’est la nouvelle qu’apporte au couple adultère Mme Armaury. Quoi ! Mme Armaury ? Que vient-elle faire ici ? Cette honnête femme a de son devoir une idée singulière. Et, pour notre part, nous nous refusons à accepter cette étrange conception de l’honnête femme. Dévouement, sacrifice, abnégation, oui certes ; mais la dignité fait, elle aussi, partie de la définition. Et nous déplorons ce complet-oubli de sa dignité chez une femme outragée, qui s’en vient frôler, — par quelle sorte de sensuelle aberration ? — les amours de son mari et de sa rivale. Il y a longtemps que la place de Mme Armaury n’est plus ici… La situation est devenue intenable. Coûte que coûte, il faut la dénouer. Comment ? Par le moyen qui reste toujours en dernier ressort aux dramaturges aux abois. Diane se tire un coup de pistolet…

Peut-être voit-on le défaut essentiel qui nous gâte cette pièce et parce qu’il est essentiel au genre. Il consiste à faire table rase de toutes les données de l’observation sociale ou morale. Au lieu de se « soumettre à l’objet, » le dramaturge se subordonne les conditions mêmes de la vie et en use librement avec elles. Mieux encore, il les dédaigne, il les néglige par système, il lus traite comme si elles n’existaient pas. Un pathétique obtenu à ce prix cesse de nous toucher. Toute cette vigueur n’est qu’illusoire. Le moindre grain de vérité ferait bien mieux notre affaire. Certaines gageures d’équilibre et prouesses de gymnastique ne sont réalisables que dans un monde où ne s’appliqueraient pas les lois qui régissent notre planète. Un théâtre où les grands seigneurs se comportent comme des rouliers, les bâtonniers comme des souteneurs, les honnêtes femmes comme des curieuses, et les