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REVUE DES DEUX MONDES.


Mais puisque tout survit, que rien de nous ne passe,
Je songe, sous les cieux où la nuit va venir,
À cette éternité du temps et de l’espace
Dont tu ne pourras pas sortir.

— Ô beauté des printemps, vivacité des neiges,
Rassurantes parois du vase immense et clos
Où, comme de joyeux et fidèles arpèges,
Tout monte et chante sans repos !

Et les corps libérés, dans les saisons futures,
À toute heure, en tout lieu, toujours rencontreront
Les bras illimités et les chaudes ceintures
Où les âmes s’apaiseront…


II



J’ai tant rêvé par vous, et d’un cœur si prodigue,
Qu’il m’a fallu vous vaincre ainsi qu’en un combat,
J’ai construit ma raison comme on fait une digue,
Pour que l’eau de la mer ne m’envahisse pas.

J’avais tant confondu votre aspect et le monde,
Les senteurs que l’espace échangeait avec vous,
Que dans ma solitude éparse et vagabonde
J’ai partout retrouvé vos mains et vos genoux.

Je vous voyais pareil à la neuve campagne
Réticente et gonflée au mois de mars ; pareil
Au lys, dans le sermon divin sur la montagne ;
Pareil à ces soirs clairs qui tombent du soleil ;

Pareil au groupe étroit de l’agneau et du pâtre,
Et vos yeux, où le temps flâne et semble en retard,
M’enveloppaient ainsi que ces vapeurs bleuâtres
Qui s’échappent des bois comme un plus long regard.

Si j’avais, chaque fois que la douleur s’exhale,
Ajouté quelque pierre à quelque monument,
Mon amour monterait comme une cathédrale
Compacte, transparente, où Dieu luit par moment.