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UNE VIE D’IMPÉRATRICE.

Le grand-duc Nicolas raconte dans les plus grands détails cet événement dont les circonstances réduisent à néant la légende, d’ailleurs démentie déjà, qui représente Alexandre abandonnant volontairement sa couronne, se retirant du monde et, nouveau Charles-Quint, allant s’ensevelir dans un cloître pour y attendre sa fin. Des documens qui nous permettent de suivre jour par jour les progrès de sa maladie, les circonstances de sa mort, nous ne voulons retenir que deux lettres où la douleur d’Élisabeth s’exhale avec véhémence :

« Chère maman, notre ange est au ciel, et moi, sur la terre, de tous ceux qui le pleurent, la créature la plus malheureuse, puissé-je le rejoindre bientôt ! Oh ! mon Dieu, c’est presque au-delà des forces humaines, mais puisqu’il me l’a envoyé, sans doute il faut pouvoir le supporter. Je ne comprends pas, je ne sais si je rêve, je ne puis pas combiner, comprendre mon existence. Voici de ses cheveux, chère maman ! Hélas ! pourquoi a-t-il dû souffrir autant ? Mais sa figure maintenant ne porte plus que l’expression de la satisfaction et de la bienveillance qui lui sont naturelles ; il semble approuver ce qui se passe autour de lui ! Ah ! chère maman, que nous sommes tous malheureux ! Tant qu’il sera ici, je reste ici ; quand il partira, si on le trouve possible, je partirai aussi ; j’y serai avec lui tant que je pourrai. Je ne sais encore ce que je deviendrai. Chère maman, conservez-moi vos bontés. »

Le surlendemain, la lamentation est plus déchirante encore. À l’entendre, on ne se douterait pas que la veuve qui la profère a tant souffert, durant sa vie, par celui qu’elle pleure.

« Je vous écris, chère bonne maman, sans savoir que vous dire. Je suis incapable de rendre ce que j’éprouve, c’est une douleur continue, un sentiment de désolation auquel je crains parfois que ma religion ne succombe ! Oh ! mon Dieu ! c’est presque au-delà de mes forces ! Si encore je n’avais pas reçu de lui tant de caresses, tant de témoignages de tendresse presque jusqu’au dernier moment ! Et il a fallu voir expirer cet être angélique qui conservait la faculté d’aimer, ayant perdu celle de comprendre ! Que faire de ma volonté qui lui était toute soumise, de ma vie que j’aimais à lui consacrer ! Oh ! maman, maman, que faire, que devenir ! Je ne vois plus rien devant moi. Je reste ici tant qu’il y sera ; quand il partira, je partirai aussi, je ne sais quand, où j’irai. Je ne puis vous en dire davan-