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de pareils que de trop frivoles. C’est à mon avis une punition du ciel qu’une femme d’un âge mûr qui a les goûts de toute jeune personne. »

Quand elle parle ainsi, elle n’a pas encore vingt-huit ans et, pour qu’elle se croie dans la maturité de l’âge, il faut bien que son âme ait été profondément atteinte par les coups du sort et qu’ils aient imprimé à sa jeunesse un caractère d’amer découragement. Même langage en 1809. Elle se rappelle les jours heureux qu’elle a vécus quelques années avant, quand sa famille vint la voir en Russie : « Ah ! si l’on pouvait changer le passé en avenir, et que vous soyez ici comme vous y étiez avec papa et Marie et moi, avec l’expérience que j’ai acquise de plus, cela serait bon, bien bon ! Adieu, ma bonne maman, ceci restera une chimère ; mais, malheureusement, tout ce qui s’est passé depuis n’en est point une ni que les années et les peines qu’elles ont apportées avec elles n’ont servi qu’à m’attacher davantage à vous, ma bien chère maman, et à toujours mieux apprécier vos bontés et le bonheur d’avoir une mère comme vous. »

Contrairement à ce qu’il advient souvent du pessimisme, le sien, loin de déprimer son âme, y détermine l’explosion d’un profond sentiment religieux qu’en 1811, le spectacle de la fameuse comète lui donne l’occasion de manifester.

« De dessus l’observatoire de l’Académie, où j’ai grimpé pour la bien voir à travers un télescope et où j’ai profité de l’occasion pour faire quelques autres connaissances plus intimes au firmament, j’ai vu comme vous le monde, ses agitations et mon propre néant. Mais ne trouvez-vous pas, chère maman, que ce sentiment-là de néant, au lieu d’humilier, élève l’âme ? Et souvent, au milieu d’une grande pompe, je me suis sentie bien plus humiliée que dans ce moment-là, et dans tout ce qui nous montre notre misère immédiatement au-dessous de la grandeur de Dieu. C’est que la consolation dans ces momens-là est plus grande que la peine. Me voilà en train de prêcher ! Tout ceci ne ferait pas si mal en chaire ! » Et faisant allusion à la violation policière du secret des lettres, qui ne respecte même pas les siennes et qui l’empêche, à moins d’une occasion sûre, d’ouvrir entièrement son cœur à sa mère, elle finit par cette réflexion malicieuse : « Qu’en diront ceux qui inspectent notre correspondance ? Je n’ai qu’à désirer qu’ils méditent sur ce sujet : ils s’en trouveront bien. »