Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
367
DIMANCHES ANGLAIS CONTEMPORAINS.

rapetissé et faussé la peinture du milieu catholique où se déroule l’action. Qu’un tel milieu puisse exister, c’est possible ; qu’il existe, nous ne le contestons pas. Mais sa réalité ne saurait rien prouver contre la valeur du catholicisme lui-même, ni en faveur de la supériorité du « monde nouveau » sur le « monde ancien. » Aussi bien, n’avons-nous point à traiter la question. La thèse de Mme  Humphry Ward ne nous importe que dans la mesure où elle nous aide à comprendre sa pensée. Or il est remarquable qu’une œuvre destinée à montrer l’infériorité du catholicisme tourne à la condamnation de l’agnosticisme et de l’éducation toute négative où il a abouti dans le cas de Laura Fountain. La foi dont son père l’a privée, il ne l’a pas remplacée par une autre. La jeune fille ne peut rien opposer aux croyances qu’elle repousse ; bien plus, elle ne les connaît pas, elle lutte contre des fantômes ; et quand Helbeck se décide enfin à lui ouvrir toute grande la place forte où il s’était retranché contre son amour, elle tremble d’y devenir prisonnière et renonce à la vie plutôt que de choisir entre les deux sacrifices de son amour ou de sa liberté.

Car elle tient à celle-ci autant qu’à celui-là, et ce conflit est la moitié du grand intérêt du livre, comme l’autre moitié est le conflit entre la piété de Helbeck et son amour. Laura, nous dit-on, est une « personnalité, » et il faut entendre par-là qu’elle est fort attachée à sa personne et qu’elle résiste aveuglément à tout ce qui en menace l’intégrité ou l’indépendance. Mauvaise condition pour aimer : elle tient trop à elle-même, à ses idées ; elle ne se donne ni ne s’oublie ; elle manque d’abnégation. Helbeck l’attire, par la grandeur même que lui confère un idéal trop haut pour elle. C’est de l’excellente psychologie. Mais, des deux, qui sut le mieux aimer et qui offrit davantage à l’autre ? Laura est partagée entre l’amour de Helbeck et l’amour de soi : elle sacrifie le premier ; c’est l’instinct égoïste qui l’emporte. Helbeck est partagé entre l’amour humain et l’amour divin. Il pourrait dire à Laura, comme Polyeucte à Pauline :

Je vous aime
Beaucoup moins que mon Dieu, beaucoup plus que moi-même.

Ce dévot, dont Mme  Ward a voulu, j’imagine, condamner l’ascétisme, se trouve être seul vraiment grand, sublime et désintéressé dans l’amour, parce que contre son amour ce