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qu’il était prêt à livrer avec tant d’ardeur et de joie n’était pas son propre combat. Son effort n’était qu’une fraction de l’immense effort, de la race. C’est dans cet effort, et dans la divine puissance qui le seconde, que nous mettons, comme Robert lui-même, notre plus intime espérance.


La signification de l’œuvre est ainsi nettement précisée, en même temps que sa portée. Il ne s’agit de rien d’autre, ni de rien de moins, que du « progrès » religieux de l’Angleterre. L’idéal qu’a su réaliser dans sa propre vie Robert Elsmere, et qui rayonne après lui dans son œuvre, doit être l’idéal de son pays et de sa race. Nous savons maintenant comment le conçoit Mme Humphry Ward.

À cette âme qui fait parcourir à sa foi le cercle de la pensée et de l’action, Mme Ward en oppose une autre, immuable et cristallisée. Helbeck of Bannisdale nous conte l’histoire d’un catholique anglais, gentilhomme et jeune encore, qui vit seul dans un vieux manoir du Westmoreland, adonné aux exercices de la piété la plus stricte et aux bonnes œuvres. Il y est rejoint un jour par sa sœur, restée veuve avec une belle-fille fort indépendante, élevée en dehors de toute religion et, comme on dit là-bas, agnostique. L’amour entre ces deux êtres, voilà le sujet du roman, qui est en quelque sorte la contre-partie du premier. Tandis que la crise religieuse vient troubler Robert dans son amour et bouleverser sa vie avant de l’élargir et de la fortifier, l’amour au contraire vient assiéger Helbeck retranché dans sa foi, derrière les murailles et les herses de sa piété ascétique. Évidemment ; l’auteur entend faire le procès du catholicisme, dresser en face d’une religion humaine et vivifiante une doctrine et une pratique de mortification et d’humiliation.


L’humanité a marché durant des siècles à l’ombre de la doctrine de la Chute : mais désormais une conception opposée s’insinue, peu à peu, dans toutes les formes de la pensée européenne. C’est la disparition du monde ancien, la naissance du monde nouveau. Les hommes d’à présent ont conscience d’une dignité personnelle que leurs pères ne soupçonnaient, pas. La stature spirituelle de l’homme civilisé s’est élevée. Nous voulons aujourd’hui une terre plus noble. Ce n’est plus en esclaves, mais en hommes libres, que nous entrons dans la maison de Dieu.


M. Teodor de Wyzewa a montré ici même[1] combien le manque de sympathie, et par suite de compréhension, a

  1. Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1898.