Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


La jeunesse et la famille
d’Alfred de Vigny
d’après ses Mémoires inédits

Dans une lettre de consolation adressée à Auguste Barbier qui venait de perdre son père, trois mois à peine après avoir conduit le deuil de sa mère, Alfred de Vigny se souvenait de lui-même. Il avait, lui aussi, ressenti très cruellement cette impression de morne solitude et de fatal déchirement que laisse à l’homme sans enfans la disparition des deux êtres dont il tient la vie. Il écrivait : « Vous avez comme moi fermé les yeux des premiers amis que nous ayons dans ce triste monde. » Le père et la mère d’Alfred de Vigny furent bien, en effet, dans la force des mots, les « premiers » de ses « amis. » Si les expressions du poète peuvent se vérifier, c’est surtout à l’aide de certains feuillets manuscrits qu’il m’a été permis d’utiliser, et dont beaucoup de traits reproduits scrupuleusement assureront, j’espère, à cette étude l’intérêt très particulier que notre temps attache avec raison à des reliques littéraires.


I

Alfred de Vigny s’est appliqué plus d’une fois à nous donner l’idée de la figure paternelle. Le meilleur de ces crayons, tracés par lui dans les papiers ou édités ou inédits, est peut-être celui qui se trouve, sous la date de 1831, dans le Journal d’un poète, publié par Louis Ratisbonne :


Je suis le dernier fils d’une famille très riche. Mon père, ruiné par la Révolution, consacra le reste de son bien à mon éducation. Bon vieillard à