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LETTRES DE LOUIS-PHILIPPE ET DE TALLEYRAND.

Mme de Dino ne se porte pas trop bien : elle est éprouvée par la saison qui est mauvaise.

Adieu, mille amitiés. — Talleyrand.


LETTRE DE LA DUCHESSE DE DINO[1]


Londres, 8 janvier 1831.

Je vous remercie, mon cher Général, d’avoir, au milieu de toutes vos grandes affaires, trouvé le moment de m’écrire. C’est une preuve d’amitié que je sais apprécier et qui n’est pas perdue pour moi ! Nous ne cessons de nous dire, M. de Talleyrand et moi, qu’il n’y a rien d’aussi honorable que la politique et que le caractère du Roi, et que la manière dont vous le servez ! Si vous eussiez été à la place de M. Molé, vous n’auriez pas perdu il y a trois mois, quinze jours en mauvaises petites finesses, et en petites perfidies, et nous aurions évité les mille et un embarras du moment. Il est vrai de dire qu’il n’y a rien de plus droit que la marche de notre cabinet, qu’elle est de nature à inspirer confiance et respect. Je ne vois guère que la France qui ait fait au repos de l’Europe des sacrifices volontaires, et il me semble qu’il serait temps enfin que ce fût reconnu. Mais nous avons à faire à un Roi de Hollande obstiné et de mauvaise foi ; et duquel cependant la paix de ce côté-ci de l’Europe dépend beaucoup, à un Empereur de Russie menaçant et hargneux, à l’Angleterre qui est dans cette singulière situation de craindre tout à la fois la guerre à cause de ses embarras domestiques, et cependant d’être, par ces embarras-là même, obligé à tenir d’autant plus à ses exigences extérieures qui rendent la paix plus difficile à conserver. Il est clair que le ministère actuel anglais rencontrera de fortes difficultés à la rentrée du Parlement, peut-être les résoudra-t-il, mais il faut pour cela ne pas se dépopulariser, et ne pas faire de ces concessions extérieures qui heurteraient les anciens préjugés du pays. Tout autre ministère aurait pu promettre sa neutralité en obtenant qu’Anvers et Ostende fussent rendues à l’état de villes libres, — mais celui-ci craindrait de se compromettre en nous cédant une portion quelconque du territoire Belge. Ce que je vous dis là est uniquement pour vous, je vous prie surtout, mon cher Général, de ne jamais dire

  1. Cette lettre qui est inspirée, et presque dictée par le prince de Talleyrand, devait trouver sa place ici. Ce qu’il ne pouvait pas écrire, il lui plaisait de le faire lire sous la plume élégante et plus libre de sa nièce.