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UN SIÈCLE D’ART FRANÇAIS À BERLIN.

Parmi les « Watteau » exposés par les particuliers, plusieurs soulèveraient quelques difficultés. Je ne parle pas de deux « pendans » de la collection d’Arenberg, à Bruxelles (le Bain à la campagne, et le Bain à la maison) : ce sont des Pater polissons qui existent ailleurs en plusieurs exemplaires, entre autres à Sans-Souci. Quant au troisième, la Noce de village, il est l’objet de discussions extrêmement délicates, où je n’entrerai pas. La Femme au tournesol, de la collection Rothschild, est une académie de femme d’une peinture fluide, un peu superficielle, qui ferait plutôt songer à un maître comme de Troy. Pour le portrait de Madame Desfontaines, l’attribution à Watteau et le nom du modèle sont des points qu’on ne saurait admettre en l’absence d’un document. Je serais disposé au contraire à voir dans le Scaramouche de Mme J. Porgès une « première pensée » du Gilles de la salle La Gaze, esquisse abandonnée, qu’un élève ou un marchand aura « remise au point » après la mort du maître. Enfin, je serais tenté d’assigner une origine semblable à un des Pater de l’Empereur, la Réunion en plein air, d’une qualité de ton et d’une noblesse de formes invraisemblables pour l’auteur : il faut qu’il y ait du Watteau là-dedans. Mais ce ne sont que des conjectures…

Je n’en parle d’ailleurs que pour montrer à quel point son confuses toutes les questions qui touchent à ce grand artiste. La critique et la biographie de Watteau n’existent pas. On n’a même jamais expliqué comment, dans cette école fastueuse du xviie siècle, du vivant même de Louis XIV, est éclose chez nous cette peinture de caprice et de songe, cette fleur subite et subtile. C’est que Watteau est à nous, bien à nous, par goût et par adoption : mais, il faut bien avoir la probité de le dire, le « premier Français en peinture, » comme on l’appelle quelquefois, n’est que le dernier et le plus exquis de la grande famille flamande.

Je n’entends par-là nullement diminuer notre richesse nationale. De tout temps notre génie s’est accru par le mélange et la fusion. La sociabilité française est faite d’un alliage de races plus complexe qu’ailleurs. Comme la lumière blanche, elle se compose de plus de sept nuances. La perfection de notre culture résulte d’une grande faculté d’amitié. Nous avons coutume d’accueillir des idées étrangères et de les rendre purifiées. Bien plus : la Flandre pour nous est-elle l’étranger ? Depuis le temps