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LA FAIBLESSE HUMAINE.

çà et là le lys et la violette des sables. Son cœur tressaillait de regret. Elle ne pouvait se déprendre de ces spectacles d’une si pacifique grandeur. Quelle force à vivre, et quelle douceur elle avait puisées en eux ! Comme ils lui avaient enseigné l’effort quotidien, l’unité des sentimens, l’équilibre des actes ! Vie puissante, ordonnée, magistrale des choses, où elle s’était sentie située à sa place, et confondue avec l’ensemble des énergies naturelles, participant, si peu qu’elle fût, au large rythme de l’univers. Beaux matins se levant comme l’espoir dans le cœur, splendides après-midi chaudes où la sève gonfle l’écorce, où l’intelligence déborde l’âme, fulgurans couchers de soleil sur l’étang qui palpite à la respiration des marées, nuits d’étoiles où le silence du grand repos vous baigne comme une eau noire.

Alors Gabrielle se sentait seule. Seule et désemparée. L’idée qu’elle allait quitter Hossegor, l’en détachait déjà. Elle comprenait qu’elle avait animé ce paysage de son âme, et qu’éloignée, il continuerait à vivre, impassible et semblable. Elle sentait se rompre la divine communion qui l’avait unie à la nature bienfaisante ; elle eût voulu retenir cette terre, ces arbres, ces cieux dans ses mains, contre son cœur. Et déjà tout s’écoulait de la fantasmagorie radieuse. Elle savourait à plein cette amère, cette déprimante angoisse de l’abandon.

Ce fut bien pis quand Maurice, qui était déjà parti plusieurs fois pour Paris et revenu les dimanches, — deux nuits de chemin de fer, — quitta définitivement la Pierre Bleue, emmenant Pierre Duadic dans l’appartement qu’il avait arrêté et installé, avenue Henri-Martin. Une concession gentille à Gabrielle, et dans l’intérêt des enfans, cette proximité du Bois !

Elle le suivit le surlendemain. Cruel départ, et qu’elle ne devait jamais oublier. Un soleil de fête, l’ironie de la beauté épandue sur tout ce qu’elle voyait. Les vieux Dopsent venus l’embrasser une dernière fois et serrer dans leurs bras Michel, Charlotte ravis de partir, — le changement, le nouveau ! — Loulou pensive et triste ; elle aurait voulu dire encore adieu à Poiluchon ! Les serviteurs se pressaient autour du break. Augustine essuyait ses yeux. La Patchicore, jupe et caraco noirs, souriait. Le vieil Hamburu au nom de tous, redressant sa taille voûtée, remit à Mme Dopsent un superbe bouquet : tous les parfums du jardin, tous leurs vœux humbles.

— Merci, mes amis, dit-elle d’une voix que l’émotion étouffait.