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REVUE DES DEUX MONDES.

Très pâle, il avait demandé à Dopsent son congé. Lui aussi, ce coup du sort l’atteignait dyrement. Il était si heureux jusqu’alors. Faire éclore ces petites intelligences, penser, travailler librement, — il préparait, tard dans la nuit, son agrégation, — vivre auprès de la haute et douce présence de celle que de loin, en bas, il aimait en secret sans autre espoir que de rencontrer parfois son regard lumineux et son paisible sourire, — quel beau rêve, auquel il fallait renoncer pour s’en aller professer, obscur et pauvre, dans une petite ville de province !

Mme  Dopsent suggéra à son mari de le garder comme secrétaire, on lui devait un dédommagement : pourquoi pâtirait-il de la transformation de leur vie ? Paris avec ses bibliothèques, sa vie intellectuelle intense, la direction surtout d’un homme tel que Maurice, serait pour lui une fortifiante école.

— Moi, je veux bien, dit Dopsent, quoique ton petit Duadic, — charmant garçon du reste ! — soit un parfait rêveur. Il fait des vers, le savais-tu ? Il est amoureux. De toi, je suppose. Et je ne vois pas trop à quoi il pourra me servir. Enfin, essayons !

Ce fut elle qui, délicatement, se réserva de faire part au jeune précepteur de cette offre. Le visage de Pierre Duadic s’éclaira, il rougit candidement :

— Oh ! madame, que vous êtes bonne ! Quitter les enfans me désolait, ne plus vous voir…

Elle coupa court :

— Mais ces fonctions de secrétaire seront pour vous très différentes. Pensez-vous pouvoir vous y adapter ?

— De toute ma bonne volonté, madame, je m’y efforcerai. Mais il se sentait d’avance dépaysé, inquiet. Le caractère autoritaire de Dopsent, cette vie active… Il était si timide, si replié en lui-même, si peu fait pour se colleter avec les hommes. Il avait les larmes aux yeux, elle fit semblant de ne pas le remarquer.

Ses dernières journées furent, aux heures qui lui restèrent libres, de longues promenades à pied : l’adieu à ces endroits qui représentaient pour elle, dans ce merveilleux pays, tant de sensations concentrées. Souvent les enfans l’accompagnaient. C’étaient les bois aux sinueuses allées de sable, le Bouret roulant son eau de rouille, le silence des pinèdes où s’élevait parfois le chant mélancolique des résiniers, les berges de l’étang, la grande mer, ses longs rouleaux de vagues, et les dunes où fleurissent