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LA TRANSFORMATION DE LA CHINE.

à l’ancienne mode, cette partie des troupes était encore munie presque tout entière de fusils à percussion, de sabres et de lances : armes et munitions différaient d’ailleurs d’une province à l’autre ; des bambous servaient pour l’exercice. Les soldats n’avaient ni havresacs, ni effets d’installation de campement. En revanche, ils étaient tous munis de parapluies en toile cirée qu’ils portaient en bandoulière, et, en outre, en été, d’éventails glissés dans le col de leur vêtement. À la bataille de Ping-yang, la pluie étant venue à tomber, les soldats chinois s’empressèrent d’ouvrir ces parapluies dont ils glissèrent le manche dans leur col, présentant par-là une excellente cible dont surent tirer parti les Japonais. Ils n’avaient ni service d’intendance, ni service de santé militaire. Les contrôles étaient encombrés de noms de soldats qu’on n’avait jamais vus au corps, et les présens qui auraient dû régulièrement toucher leur solde et qui ne la touchaient pas toujours, se livraient au pillage avec l’approbation plus ou moins tacite de leurs chefs, dispensés par ce procédé de leur fournir leur paiement. La cavalerie tartare de l’armée des Huit-Bannières, qui était pourtant ce qu’il y avait de mieux dans les forces de la Chine, présentait le comble de la misère avec ses poneys à poil trop long, couverts de selles perdant la paille qui les rembourrait par des trous béans et retenues par des ficelles sur le dos des malheureux quadrupèdes. Les faciles victoires japonaises n’étonnèrent l’Europe que parce que cette dernière ignorait le véritable état des choses et la réalité que cachaient les apparences. Dès le début de la guerre, les opérations firent ressortir l’incapacité notoire des officiers chinois. À la bataille de Ping-yang, ils cédèrent le terrain après avoir perdu à peine cinq cents hommes, et leur résistance fut aussi molle à la bataille du Yalou. La capture de Port-Arthur, dont les forts et l’arsenal avaient coûté cent cinquante millions de francs, ne coûta que dix-huit tués et deux cent cinquante blessés aux Japonais. La place était armée de trois cents canons avec deux millions et demi d’obus et trente-cinq millions de cartouches Mauser qui tombèrent entre les mains des assaillans presque sans coup férir. À Wéï-Haï-Wéï, ces mêmes officiers laissèrent prendre les forts par un adversaire qui n’avait même pas, à cause du mauvais état des routes, de l’artillerie avec lui. Seule fut à peu près honorable la défense de l’amiral Ting qui, du 29 janvier au 9 février, tint à la fois contre la flotte et les