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LA MORT DE TALLEYRAND.

Je ne tardai cependant pas à lui donner l’extrême-onction ; à ce moment, sa chambre était remplie, non seulement des membres de sa famille qui y étaient rentrés, mais d’une foule d’amis, qui se pressaient autour de son lit de mort… Je fis les saintes onctions sur ses yeux qu’il ferma, sur ses lèvres, sur sa poitrine ; il avait évidemment toute sa connaissance et nous en donna constamment des preuves attendrissantes jusqu’à son dernier soupir. En particulier, je n’oublierai jamais celle-ci : je ne crus devoir réciter les litanies des saints qu’après lui avoir appliqué toutes les saintes onctions, et je me plaçai près de lui, de côté cependant et à quelque distance. Uniquement occupé à prier, je ne le regardais que de temps à autre… Tout à coup, on m’interrompit dans ma prière, on venait de remarquer qu’il répondait lui-même, que ses lèvres répétaient les paroles des litanies : Priez pour moi ; ayez pitié de moi. Et quand j’arrivai, parmi les saints martyrs, à saint Maurice, et que je prononçai son nom, il reconnut son saint patron ; nous le vîmes s’incliner, et son regard, son sourire, sa prière cherchèrent mon regard pour me faire entendre qu’il s’unissait à mes prières, puis il referma les yeux ; mais le mouvement de ses lèvres continua à témoigner qu’il s’unissait à nos intentions et priait avec nous. Quand je vins à prononcer, quelques instans après, parmi les saints pontifes, le nom de saint Charles, son autre patron, la même chose se reproduisit d’une manière aussi marquée ; son regard chercha encore le mien : il trouvait une sensible consolation à me faire remarquer de nouveau combien ces prières le touchaient…

Vers trois heures, voyant l’heure venir, je commençai les prières des agonisans. M. de Talleyrand, quoique au moment suprême, avait évidemment toute sa connaissance : il priait même avec une hum ! lité, une ferveur vraiment admirables. On me le fit remarquer encore : « Monsieur l’abbé, me dit-on, voyez comme il prie ! »

… Cependant il touchait visiblement au dernier terme : la mort était présente. Je recommençai les prières des agonisans. Mais à ce moment, quelles prières ! quelles larmes ! Quel silence ! Rien, mon ami, ne saurait vous peindre la scène qui se passait alors près de ce lit funèbre. Quand j’ouvris mon bréviaire pour lire l’admirable prière de l’Église sur le chrétien agonisant, ma voix s’émut malgré moi, et mes regards attristés, retombant