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monde par Fénelon. Il me sembla que ce pouvait être une réponse au présent qu’il m’avait fait de son discours à l’Académie, et que ce serait même un moyen de continuer respectueusement des relations que, dans ma conscience, je ne croyais plus devoir interrompre. Néanmoins, avant de lui envoyer cet ouvrage, je dus m’assurer que je ne commettrais pas une indiscrétion, et Mme la duchesse de Dino, que je consultai, me fit répondre par Mlle de Périgord, sa fille, que M. de Talleyrand recevrait avec un grand plaisir le livre et l’auteur…

Sur cette réponse, je n’hésitai plus et j’envoyai le livre, accompagné de la lettre suivante, que vous trouverez peut-être bien hardie ; mais il me sembla que je pouvais, que je devais parler ce langage. Il était nécessaire de donner enfin à mes relations quelque chose de significatif, et l’occasion me parut convenable : je le fis donc, et Dieu bénit ma hardiesse. Voici cette lettre :


Prince,

Mlle Pauline m’assure que je ne serai pas trop indiscret, si je prends la liberté de vous offrir l’hommage d’un travail fort simple et fort humble, mais auquel le nom de Fénelon a donné quelque prix et peut-être un succès utile ; et l’extrême bonté, que vous avez eue pour moi il y a quelque temps, m’encouragerait encore à cette indiscrétion.

Il est bien vrai que quelques pages rares, et pourtant trop nombreuses, sont de moi dans ces six volumes : mais ce n’est pas là ce. que j’oserais jamais vous présenter en échange du discours prononcé à l’Académie et dont vous avez bien voulu me destiner un exemplaire : c’est par Fénelon que j’essaie d’acquitter ma reconnaissance et de vous rendre quelque chose de ce plaisir si délicat que j’ai éprouvé en lisant ces quelques pages, dont il ne m’est permis de parler ici qu’avec une respectueuse réserve : c’est donc à la faveur, et comme à l’abri d’un si grand nom, que j’ose me présenter à votre indulgente bonté.

Ce qui ajoute à ma confiance, Prince, c’est que le génie, les vertus, le caractère sacré de l’archevêque de Cambrai et surtout ses malheurs et son admirable retour donnent à sa vie quelque chose d’incomparable et d’achevé, à sa parole une force et une douceur irrésistibles, k sa mémoire enfin je ne sais quoi de vénérable et d’attendrissant. Oserais-je vous le dire encore en toute simplicité ? Fénelon fut comme vous élève de Saint-Sulpice ; il en conserva toute sa vie le souvenir, et, mourant, il écrivait à Louis XIV : « Je ne connais rien de plus apostolique et de plus vénérable que Saint-Sulpice. » Lors donc que j’ai retrouvé, dans vos discours, cette profonde et aimable reconnaissance de Fénelon pour ceux qui avaient élevé sa jeunesse cléricale ; lorsque je vous ai entendu, à son exemple, vous faire une joie des souvenirs de Saint-Sulpice, et louer avec effusion de cœur les maîtres