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LE MONTENEGRO ET SON PRINCE.

question du chemin de fer du Danube à l’Adriatique. Il parlait de son pays avec un patriotisme, et de son souverain avec une vénération, dont ceux qui, comme nous, l’ont entendu, ne sauraient oublier l’accent. Au moment où le procès allait commencer, il partit pour Cettigne. « Je suis le chef du parti, disait-il, je ne dois pas abandonner mes amis, je suis innocent et je comparaîtrai avec confiance devant la justice de mon pays. » Il est aujourd’hui pour quinze ans au bagne de Podgoritza, une chaîne à la jambe gauche. Ses plus acharnés accusateurs affirment qu’il a été au courant de tout le complot, mais que cependant il n’a jamais cru qu’un attentat dût être dirigé contre le Prince ; ils disent qu’il a vu à Cattaro les individus chargés d’apporter les bombes et que, s’il est revenu à la veille du procès, c’est qu’il ignorait que les accusés eussent fait des aveux. D’autres se contentent d’affirmer que Radovitch était au courant de la propagande panserbe, mais qu’il fit tous ses efforts pour dissuader les agens de cette propagande d’agir par les bombes ; voyant qu’on ne l’écoutait pas, prévoyant des malheurs, mais ne voulant pas’se faire délateur, il se serait enfui. Quoi qu’il en soit de ces allégations, aucune preuve sérieuse n’a été apportée contre lui au procès.

Des débats eux-mêmes, nous ne dirons rien, sinon que le procès a été jugé par un tribunal d’exception dont la plupart des membres n’avaient aucune capacité juridique et que, dans la procédure comme dans la conduite des débats, on n’observa pas les règles tutélaires qui sont considérées, dans l’Europe occidentale, comme la garantie indispensable à une bonne justice[1]. Un incident, cependant, vaut d’être relevé, car c’est peut-être celui-là qui donne la clé de tout le procès. On vit un jour paraître au tribunal un jeune Bosniaque, se disant journaliste, dont le nom, alors ignoré, allait bientôt acquérir une célébrité d’assez triste aloi : c’était Georges Nastitch. Il demanda à parler et, sans étonnement, le président lui accorda la parole ; il fit alors le tableau détaillé de toute la propagande serbe à l’étranger ; il rattacha le procès de Cettigne à une série de faits de même nature, montrant partout la propagande serbe à l’œuvre, au Monténégro, en Bosnie, en Croatie. On sait comment, depuis lors, Nastitch a publié sa brochure Finale d’où

  1. Cf. Ch. Printa, le Procès de Cettigne, dans les Questions diplomatiques et coloniales, 16 septembre 1908.