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qualité de membre du parlement en la prêtant comme étiquette à des affaires industrielles, plus ou moins trompeuses. Puis, il y a les ambitieux, les politiciens professionnels qui marchent à la conquête d’un portefeuille et n’ont souci que de leur propre succès. En lin les serviteurs du bien public, c’est-à-dire M. Lloyd George et ses amis. Cette classification nous indique clairement dans quel esprit il entrait à la Chambre. Il était, dès lors, l’ennemi du parlementarisme qu’il identifiait avec les classes capitalistes.

Deux mois après avoir mis le pied dans le parlement, il prononçait son maiden speech (17 juin 1890), qui ne produisit pas grand effet autour de lui, mais fut très remarqué dans la tribune des journalistes. Pour le ton comme pour la doctrine, on y trouve l’embryon du Lloyd George d’aujourd’hui. Il y comparait les leaders du parti conservateur à des disloqués qui avaient alors la vogue dans un spectacle populaire. De quoi s’agissait-il ? D’indemniser des débitans de boissons de la perte de leur autorisation. Le jeune représentant des bourgs de Carnarvon proposait d’attribuer les fonds disponibles aux dépenses scolaires. Il se rangeait ainsi parmi les partisans de la tempérance et les avocats de l’instruction populaire. Du même coup, il foulait aux pieds le droit de propriété. On m’objectera que l’autorisation de débiter des boissons n’est pas une propriété. Alors, demanderai-je à mon tour, pourquoi cette autorisation, si elle est révocable sans compensation, d’une heure à l’autre, acquitte-t-elle l’income-tax et les droits de succession ? Cette observation si simple a été, bien souvent, opposée à M. Lloyd George et à ceux qui pensent comme lui. Ils n’en ont jamais tenu compte ; ils n’y ont jamais répondu.

Dans l’été de cette même année 1890, M. Lloyd George fit une tournée oratoire où sa réputation grandit d’étape en étape. Il débuta, à Manchester, en réveillant les échos d’une salle où avait retenti la voix de John Bright. Puis il parcourut le pays de Galles. On commençait à admirer la sonorité argentine de cette voix qui agissait étrangement sur les nerfs de la foule et qui portait sa parole jusqu’aux rangs les plus lointains d’un vaste auditoire. On admirait aussi celle présence d’esprit et cette bonne humeur qui tournait à son avantage les interruptions les plus saugrenues. Un jour, dans le Sud du pays de Galles, le président du meeting, en le présentant à l’assistance, exprime le