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animal une représentation objective. Du moment qu’on fait parler les bêtes, quels sentimens leur prêter qui ne soient les nôtres ? M. Rostand n’a pas hésité, non plus que n’avaient fait son bon maître La Fontaine et tous les fabliers de tous les temps. C’est un symbolisme dans lequel nous entrons sans peine, parce qu’il est suivant la tradition.

Le poulailler où se déroule le premier acte est un poulailler où l’on cause. On y cause énormément, exclusivement de littérature. Car celui qui y règne, le coq, Chantecler, est un poète. Il est plus que cela, il est le poète. Rien n’importe de lui que son chant. C’est ce chant qui le fait souverain. Et c’est le secret de ce chant que voudraient connaître les poules qui gloussent tendrement autour du chanteur. Nous devinons qu’elles ont vaguement dans leurs cervelles d’amoureuses l’espoir d’être elles-mêmes ce secret. Fol espoir ! Vain désir ! Chantecler n’est pas un poète de l’amour. Et c’est un trait tout à fait original. M. Rostand n’a pas fait de son héros un jeune premier romantique, non plus qu’un ténor, ni un soupirant de cavatines sentimentales. Nous attendons inutilement le duo d’amour obligatoire dans toute pièce en vers. Le coq autour de qui s’empressent toutes les poules pourrait assez bien jouer le rôle du don Juan « qui veut aimer sans cesse après avoir aimé. » Rien ici de pareil. M. Rostand a brisé les tables de la loi poétique et théâtrale d’après laquelle les plus énamourés sont les chants les plus beaux. Il va sans dire que l’amour aura néanmoins sa place dans la pièce. Mais ce sera l’amour que Musset qualifiait d’ « exécrable folie. » La femme y fera son œuvre, mais ce sera une œuvre de perdition, comme en eût décidé Vigny. Si Chantecler est le poète, l’amour est pour lui non pas la source qui alimente l’inspiration, mais le fléau qui la tarit. Non, non, le secret de Chantecler n’est pas un secret amoureux. Mais quel est ce secret ?

Auprès de Chantecler qui est un simple, un naïf, un brave homme de grand poète, un brave coq de grand homme, le merle siffleur, sceptique, ironique. Il raille la foi de son compagnon, cette foi qu’a Chantecler en lui-même d’abord et puis dans des tas de chimères surannées. Un sifflotement lui tient lieu de raison et il sifflote comme on ricane. Ces airs supérieurs lui tiennent lieu de supériorité et le consolent d’une médiocrité dont il semble bien avoir à part lui conscience. Il est venu à Paris, s’est perché sur quelques arbres du boulevard, en bordure des petits théâtres. Il a attrapé un certain tour de blague, qu’il applique, comme c’est l’usage, à tout propos et hors de tout propos. Il est moderniste à outrance et dédaigneux de tout ce qui n’est pas le « dernier cri. » S’il paraissait des journaux dans les cours de ferme, il