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Avec la liberté de la mer pendant un temps suffisant, une grande puissance continentale serait capable de transporter dans le Royaume-Uni, non plus 150 000 à 200 000 hommes, mais, en plusieurs fois, une nombreuse armée d’excellens soldats que rien alors ne serait plus en mesure d’arrêter. Dans de semblables conditions, une invasion dangereuse pour l’avenir de la Grande-Bretagne a des chances de réussir et doit entrer dans les prévisions.

Une autre circonstance peut se présenter. L’Angleterre, ayant toutes ses forces engagées dans une guerre lointaine comme celle du Transvaal, une puissance étrangère ne pourrait-elle pas profiter de ses embarras, si aucune nation amie ou alliée ne venait à son secours ? À cette question posée par le vicomte Millier, on n’a trouvé d’autre réponse que celle-ci : « Le noble vicomte craint une invasion au moment où toute notre armée serait engagée dans" des opérations sur une partie différente de l’Empire. Ce fut le cas en 1857 et en 1900, et cependant, grâce à la bonne volonté de nos voisins, grâce au fait qu’ils ne pensèrent pas l’entreprise praticable, nous ne fûmes pas attaqués. Nous avons droit, je pense, d’attribuer notre immunité à la force de notre marine. » Il eût été facile de répondre à un pareil raisonnement que cette force navale s’est, depuis lors, bien amoindrie par rapport à celles d’autres marines de guerre et qu’elle tend à s’amoindrir encore.

Nous devons conclure de ces considérations que l’Angleterre, sans alliances, doit redouter légitimement la violation de son sol par un adversaire qui mettrait en péril son existence même de grande nation.

Tout change d’aspect, au contraire, si le Royaume-Uni s’est assuré, en Europe, des alliances ou des amitiés. Une attaque contre elle entraînerait une conflagration générale du continent et, dans ce cas, la question se résoudrait sur terre et non sur mer, comme le disait fort judicieusement lord Roberts à la tribune du Parlement : « Ce n’est pas à Trafalgar, mais à Waterloo que Napoléon fut définitivement vaincu. Une grande guerre ne fut jamais décidée par une victoire navale. » Aucune puissance engagée dans une guerre européenne n’irait risquer de se faire battre sur le continent pour envoyer une armée à la conquête de l’Angleterre ; tout au plus songerait-elle à détacher, comme diversion, quelques troupes de deuxième ligne d’effectif restreint et assez pauvrement outillées ; il faudrait alors peu de forces