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Hohenlohe vint le voir ; il le lui montra. Hohenlohe, qui partout soupçonnait les Jésuites et qui craignait encore, peu de jours avant, que le chancelier ne devînt leur captif, se sentit rassuré : « Voilà une lettre, s’écria-t-il, dont les cléricaux ne seront pas agréablement impressionnés. » — « Je ne veux non plus rien leur dire d’agréable, » repartit Bismarck, et il annonça, brutalement, les remaniemens qu’il projetait dans le ministère prussien des Cultes. Unruh survint ensuite, membre influent du parti national-libéral ; Unruh lut le papier, exprima sa joie pour la politique anticléricale qui s’annonçait.

« Le plus tôt sera le mieux, » ajouta-t-il. Bismarck fronça le sourcil, détestant, sans doute, qu’un député lui donnât de l’éperon. « Eh bien ! s’écria-t-il, si cela doit arriver, nous viendrons aussi à bout de cette partie-là. » La lettre fut mise à la poste, à l’adresse de Frankenberg, et bientôt publiée.

La conservatrice Gazette de la Croix, le 22, définissait la situation, sur un ton d’ultimatum : elle accusait le Centre, allié du Jésuitisme, de revivifier les anciennes prétentions de la papauté et de réveiller les antagonismes confessionnels. Assurément, Antonelli l’avait blâmé ; mais « si le Centre persistait dans sa politique ou si ses protecteurs à Rome prévalaient, l’Empire, dans le plus bref délai, répondrait par l’agression à une agression prolongée, et cela, au dehors comme au dedans. » Le publiciste insinuait que l’Eglise s’en trouverait mal. « Il y a trois cents ans, concluait-il, le germanisme fut plus puissant que le romanisme ; à plus forte raison aujourd’hui, puisque Rome n’est plus que la capitale de l’Italie, et puisque c’est un Allemand, non un Espagnol, qui porte la couronne impériale. »

Antonelli et le Pape étaient prévenus. Ils devaient désavouer le Centre ; la paix était à ce prix. Le jour même où la Gazette de la Croix menaçait d’une offensive, Bismarck chargeait Taufkirchen de représenter au Pape que l’alliance du Centre avec les partis révolutionnaires pouvait déterminer l’Empire à prendre telles mesures défensives qui seraient en contradiction avec ses sympathies pour la personne de Pie IX. Le 23 juin, Taufkirchen voyait Antonelli : il se présentait comme désireux de lui rendre service, en évitant que le Souverain Pontife ne fût en Allemagne compromis par le Centre. Antonelli affirma qu’il n’avait aucune part, ni directe, ni indirecte, aux actes de ce parti ; Taufkirchen eut la conviction qu’il disait vrai, que l’union des noirs avec les