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V

Le 9 mars 1871, Bismarck rentra à Berlin. Un article paraissait, le 2, dans la Gazette de l’Allemagne du Nord : Maurice Busch triait le Reichstag ; il distinguait les députés nationaux et les autres… Les autres, c’étaient les membres du Centre : on eût dit, à lire Busch, qu’entrer au Reichstag, sous un tel drapeau, équivalait à sortir de la nation. Il concluait par cette alternative : être Allemand ou non Allemand ; être d’accord avec l’unification de l’Allemagne sous l’empire des Hohenzollern, ou être mécontent de la marche des choses. Ketteler sauta sur sa plume : « Il y a dans la Gazette, écrivit-il à Bismarck, un article abominable contre les catholiques. » Busch mit sa prose sous les regards du maître : « Tout cela est vrai, s’écria Bismarck ; le bon Ketteler est tout à fait dans les filets de Savigny ; il est hors de lui, que nous n’ayons pas sauvé le Pape. »

Ketteler bientôt demanda audience ; Bismarck le reçut. L’évêque-député reprit les argumens qu’exposait déjà sa lettre du 1er octobre ; il demanda que l’Allemagne entière bénéficiât désormais des mêmes libertés religieuses que la Prusse. L’entretien dévia ; on causa théologie. Il semble que Ketteler voulut tâter les idées du chancelier sur le catholicisme. « Croyez-vous, lui demanda-t-il, qu’un catholique ne puisse pas faire son salut ? » — « Un laïque, oui, répondit Bismarck ; un prêtre, non, car il y a en lui le péché contre le Saint-Esprit. » Ketteler prit congé : il sortait damné, mais assez content ; il emportait cette impression qu’ « une motion du Centre ne trouverait pour l’instant, et cela pour des motifs politiques, aucun soutien de la part du gouvernement, mais qu’on ne la regarderait pas comme un acte d’opposition ; » et tout au fond de lui-même, il inclinait à penser que le chancelier se montrerait bienveillant.

Du haut de sa dignité nouvelle, Bismarck planait sur les manœuvres des partis, dans une altitude d’effacement, hautaine et volontairement distante. Sous ses pieds les hommes s’agitaient ; il se flattait qu’il saurait les mener. Il suivait, de haut et de loin, les fiévreux manèges où se dépensaient les nationaux-libéraux pour coaliser à l’avance contre le Centré une majorité compacte. Marquardsen et Lasker échangeaient leurs vues ; on cherchait quels hommes de Droite, ou penchant vers la Droite,