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lui, cache son amour à Célidée et de chagrin tombe malade à mourir. Par un dévouement sublime, pour sauver les jours de Calidon, Thamire se résigne à lui abandonner la main de Célidée et cherche lui-même à toucher le cœur de la bergère en faveur de Calidon ; mais le seul résultat de ses efforts, c’est que Célidée s’obstine à ne pas aimer Calidon et qu’elle cesse d’aimer Thamire qui se décide si aisément à renoncer à elle. Là-dessus Thamire se ravise : « Puisque vous ne pouvez aimer Calidon, dit-il à la bergère, je reprends mes droits et vous supplie de vous remettre à m’aimer. » De son côté, Calidon reproche à Thamire son manque de foi. Comment ose-t-il reprendre ce qu’il avait consenti à lui céder ? Quant à Célidée, elle les hait tous deux et s’enfuit, mais ils la poursuivent et, venant à traverser le fameux carrefour de Mercure, ils se décident de soumettre au tribunal pastoral ce cas très litigieux. Les plaidoyers sont longs, très longs et, quand ils sont achevés, la nymphe Léonide prononce un jugement qui se termine ainsi : « Et toutes fois, d’autant qu’il n’y a offense qui ne soit vaincue par la personne qui aime bien : nous ordonnons, de l’avis de tous ceux qui ont ouï dire avec nous ce différend, que l’amour de Célidée surmontera l’offense qu’elle a reçue de Thamyre, et que l’amour que Thamyre lui portera à l’avenir, surpassera en échange celle que lui a portée Célidée jusqu’ici. »

Ce n’est pas seulement dans les épisodes que les cas de conscience jouent un grand rôle. L’intrigue même principale du roman est tout entière fondée sur une question de casuistique. Céladon a voulu se noyer, mais il ne s’est pas noyé. Il n’y gagne pas grand’chose puisqu’il n’ose pas reparaître devant Astrée. Ne lui a-t-elle pas interdit de se montrer désormais à ses regards ? Le plus consciencieux des amans aimerait mieux mourir que d’enfreindre l’ordre de sa maîtresse, si déraisonnable soit-il. Il va se réfugier dans une caverne où il trouve fort à propos une écritoire et des plumes pour mettre en vers ses chagrins ; car dans l’Astrée, nous l’avons dit, il se trouve partout des écritoires, elles pleuvent du ciel, c’est un fruit que portent tout naturellement les arbres de ce pays-là. Toutefois, son écritoire ne réussit pas à consoler Céladon et, dévoré de soucis, il devient si maigre que le druide Adamas prend pitié de lui. Ce druide avait une fille qui depuis huit ans était auprès des Vierges Druides dans les antres des Carnutes, et le hasard veut que cette fille ressemble beaucoup