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Busch promettait, gagnait la porte, et Bismarck lui criait : « Ou bien, de la fraction Liebknecht-Savigny. »

D’être particulariste, c’était, aux regards de Bismarck, une tare plus sérieuse encore ; et l’alliance des catholiques avec un homme d’Etat comme Dalwigk, le ministre hessois, lui paraissait moins pardonnable, sans doute, que leurs avances à la masse ouvrière. Les papiers de Boulier, emportés du château de Cerçay par l’armée d’invasion, révélaient qu’en 1868 Dalwigk, causant avec le général Ducrot, avait invoqué l’action de la France pour empêcher la prussification de l’Allemagne.

Ainsi, tandis que Bismarck poussait l’Allemagne chez nous, pour y couronner l’unité, Dalwigk avait voulu nous pousser en Allemagne, pour l’entraver. Bismarck voyait là un crime. Or le criminel, malgré l’esprit assez laïque qui animait les Chambres hessoises, avait accordé à l’évêque Ketteler, aux prêtres, aux moines, de nombreuses libertés ; il avait mis à la tête de la justice un catholique du nom de Frank, qui passait pour ennemi de la Prusse ; il projetait une nouvelle géométrie électorale qui risquait, disait-on, d’être favorable aux ultramontains. Bismarck, indigné, commandait contre Dalwigk un article qui fait l’effet d’une exécution en effigie. « Il est impossible, lisait-on dans les Grenzboten, que dans l’empire nouveau nous vivions avec un Dalwigk. Les ministres du nouvel Etat unifié doivent avoir d’autres qualités que celles du chat, qui retombera toujours sain et sauf sur ses pattes. Il faut forcer ce ministre et son Frank à s’en aller, puisqu’ils n’y sont pas induits par les devoirs d’honneur et de conscience des simples mortels. » Par-dessus la tête du grand-duc de Hesse, la presse bismarckienne signifiait au ministre hessois qu’il n’avait qu’à disparaître. Et si cette grossièreté justifiait les suspicions particularistes et révoltait les catholiques, auxquels ce ministre était cher, ils n’avaient qu’à prendre note des deux épithètes que collait Hans Blum au nom de Dalwigk : il l’appelait undeutsch-ultramontan, ce qui voulait dire ultramontain et sans patrie. L’alliance de ces deux mots était destinée à faire fortune : elle exposait les catholiques eux-mêmes à certaines sanctions que pourrait dérouler, à la longue, la colère de Bismarck. Dès le 24 avril 1870, Hohenlohe, causant à Berlin avec des unitaires, avait noté dans son journal : « Si les ultramontains regimbent contre l’idée d’unité, qu’ils s’arment pour la guerre. Ici l’on semble s’y préparer. »