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rachetait ces désavantages par une facilité d’humeur, une souplesse, un agrément, une vivacité, un enjouement qui enchantèrent tout ce qui l’entourait et lui valurent bien des hommages.

« Philonide est une personne dont la naissance est des plus heureuses du monde ; car elle a tout ensemble beaucoup de beauté, beaucoup d’agrément, beaucoup d’esprit, et toutes les inclinations nobles et généreuses. Sa taille est des plus grandes et des mieux faites ; sa beauté est de bonne mine, sa grâce est la plus grande naturelle qui sera jamais. Son esprit est le plus charmant, le plus aisé, et le plus galant du monde ; elle écrit aussi bien qu’elle parle, et elle parle aussi bien qu’on peut parler. Elle est merveilleusement éclairée en toutes les belles choses, et n’ignore rien de tout ce qu’une personne de sa condition doit savoir. Et elle danse bien jusqu’à donner de l’amour, quand même elle n’aurait rien d’aimable que cela. Mais ce qu’il y a de merveilleux, est qu’elle est tellement née pour le monde, pour les grandes fêtes, et pour faire les honneurs d’une grande Cour, qu’on ne peut pas l’être davantage. La parure lui sied si bien, et l’embarrasse si peu, qu’on dirait qu’elle ne peut être autrement. Et les plaisirs la cherchent de telle sorte, que je ne pense pas qu’elle ait jamais été enrhumée en un jour où il y ait eu un divertissement à recevoir ; et si je l’ai vue quelquefois malade, ç’a été en certains temps mélancoliques, où il n’y avait rien d’agréable à faire. Encore ne l’était-elle qu’autant qu’il le fallait être, pour attirer toute la Cour dans sa chambre, et non pas assez pour se priver de la conversation[1]. »

Mais à côté de Julie et de sa mère, dans Mlle Angélique de Rambouillet se montre déjà l’excès de la préciosité. Angélique avait une délicatesse de sens quelque peu outrée qui la rendait chagrine et méprisante, et une aversion pour certains mots fort honnêtes qui lui semblaient bas ; en revanche, elle avait un goût excessif pour les beaux esprits et peu de tolérance pour les autres. Un gentilhomme prétendait qu’elle s’évanouissait quand elle entendait un méchant mot. Aussi hésita-t-il longtemps avant de prononcer celui d’ « avoine » devant elle, sachant qu’elle le prendrait mal. Puis n’ayant eu le courage de lâcher son mot, il se leva et partit en disant : « On ne sait vraiment comment parler céans. »

  1. Portrait de Julie d’Angennes (Grand Cyrus).