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s’aventurer vers les espaces illimités de l’inconnu et du rêve, perde pied et se laisse détacher de cette base qu’est le royaume de Naples. Par lettre du 28 avril, elle le prie, elle le supplie de poser ses conditions à l’Empereur et de n’entrer dans aucune combinaison qui, dès à présent, le dessaisisse ; elle se méfie toujours des élans d’imagination et des fougues de ce grand impulsif :

« D’après ta lettre, je crains que nous ne finissions par être obligés de quitter le royaume. Je connais ton désir de faire la guerre, tu ne pourras pas y résister. Je serais trop heureuse si tu pouvais venir gouverner ton royaume et ne plus le quitter, J’ose te faire une prière : si jamais tu te décides à faire la guerre, conserve toujours Naples, et si je ne puis pas éviter ton absence, évitons au moins la perte du royaume. Je crois que cela est en ton pouvoir ; il te suffit de dire à l’Empereur que tu consens à faire la guerre, mais que tu ne consens pas à céder tes Etats. De cette manière, tu gagneras du temps et le temps est un grand maître. J’ai passé une journée affreuse. L’idée de quitter Naples, de te voir faire la guerre et de voir tes enfans sans existence, tout cela me désole et me fait désirer que tu m’écrives le plus souvent possible par des courriers, parce que je suis dans une inquiétude mortelle. »


VI

A Naples, les bruits de réunion couraient plus que jamais ; on en parlait publiquement, scandaleusement. Dans l’incertitude qui l’opprime, la Reine questionne M. Durand, ministre de France, nouvellement arrivé. Ce ministre, ignorant des intentions de l’Empereur qui parfois éclatent sans s’annoncer, n’ose démentir des bruits que l’événement peut confirmer. En bon diplomate, il reste réservé, boutonné, fermé. A ne tirer de lui que des paroles douteuses, la Reine sent redoubler son angoisse ; elle en est presque à faire son testament de souveraine, à préparer des nominations et des actes qui seront ses dispositions de dernière volonté royale.

Au milieu de ses transes, une nouvelle lui arrive soudain, nouvelle faite pour la toucher et la flatter délicieusement dans ses intimes fiertés, tout en accroissant son émoi.

Le baptême du Roi de Rome devait avoir lieu en juin.