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Comme il crut devoir annoncer aux troupes, dans un ordre du jour, qu’il avait tout de même rempli les intentions de l’Empereur en inquiétant les Anglais et en faisant diversion, Napoléon trouva ce langage très mauvais et, sans se donner la peine d’en écrire lui-même, fit réprimander Murat par le ministre de la Guerre en termes d’une extrême roideur. Cette façon de le traiter en sous-lieutenant pris en faute raviva toutes les blessures de Murat. En le revoyant si durement éprouvé, la Reine lui fit-elle la scène de larmes dont elle avait paru le menacer ? On peut penser que, plus avisée et prudente, elle essaya de lui procurer, par la douceur du foyer retrouvé, quelque allégement à ses peines.

Pendant l’automne de 1810 et l’hiver suivant, le Roi et la Reine vécurent réunis à Naples ; par conséquent, point de correspondance continue qui nous renseigne sur leurs sentimens respectifs. Il est probable que la vie conjugale passa par des alternatives, par des crises de méfiance et des retours d’apparent abandon. En janvier 1810, la Reine semble toute consolée, parce que sans doute le nouvel an lui a valu d’affectueux témoignages. Lorsque Murat s’en va passer quelques jours dans un domaine de chasse, elle lui écrit sur un ton d’enjouement : « Il a fait un bien beau temps aujourd’hui ; j’espère que tu auras fait une belle chasse. Je te souhaite une aussi belle journée pour demain. Adieu, mon cher ami, je t’aime bien parce que tu as été bien aimable pour moi ; ne change pas, et je serai parfaitement heureuse. »

On avait beau échanger des paroles amies et des caresses verbales, un désaccord foncier subsistait et ne pouvait que s’accroître, car il portait sur la conception même à se faire de l’intérêt commun. Le Roi et la Reine en viendraient fatalement à représenter deux systèmes, deux partis contraires. Autour de Caroline se grouperaient forcément tous les hommes qui ne voyaient le salut de l’Etat napolitain que dans une étroite soumission à l’Empereur, en face du parti qui voulait exploiter les griefs de Murat et distendre les rapports avec la France jusqu’au point où toute commotion européenne les ferait se rompre.

Les différends avec la France s’aggravaient considérablement. A mesure que Murat s’émancipait, il semblait que Napoléon prît un rageur plaisir à lui faire davantage sentir le frein, à le garrotter de défenses et de prohibitions, à le tenailler d’exigences.