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Et dans cette conciliation qu’ils se proposent, ils sont bien de leur époque, ils sont les fils de la Renaissance. Car on a tort, je pense, lorsqu’on présente le grand mouvement de la Renaissance comme une réaction passionnée, énergique, exclusive contre l’esprit du moyen âge. La féodalité mourut comme institution politique ; mais l’éducation qu’elle avait donnée à l’Europe lui survécut. Si l’on retranchait des mœurs publiques et privées, des usages, des caractères, des idées morales et politiques de l’Europe actuelle tout ce que lui a légué l’époque féodale, l’Europe ne serait plus l’Europe, et un homme, quel qu’il soit, qui ne serait pas, par quelque côté du moins, le fils et l’héritier du moyen âge, nous étonnerait comme un être étrange avec qui nous aurions peine à nous entendre sur les premières notions de la vie et de la morale. La Renaissance n’a donc pas cherché à détruire par le fer et par le feu le génie du moyen âge ; elle a cherché à le greffer, et la greffe dont elle a usé, elle l’a empruntée à l’antiquité retrouvée, ressuscitée et sortant de son tombeau parée de son éternelle beauté. Cette fusion, cette conciliation naïve de deux principes qui semblent s’exclure, fait le charme de la littérature de cette époque. Que sont les deux grands poètes italiens de la Renaissance, l’Arioste et le Tasse ? Ils sont les derniers des trouvères ; comme la chanson de geste, ils chantent la chevalerie et les croisades, et on sent partout dans leur œuvre l’étude attentive des poèmes des temps gothiques ; mais en même temps ces deux poètes sont tout pénétrés d’Homère et de Virgile, et ils concilient, dans une heureuse combinaison, le génie de la chanson de geste et la beauté de la forme classique. Cette greffe qui réussit si bien dans la poésie, elle tendit aussi à s’opérer dans la vie et dans les mœurs. Du centre de l’Italie, de la ville Sainte, du siège même de la papauté, s’élevait une voix qui, traversant les Alpes, criait à toute l’Europe : « Ouvrez la porte de vos maisons à l’art, ce génie bienfaisant. Laissez-le s’asseoir à votre foyer. Le Ciel le reconnaît pour un de ses envoyés. Qui que tu sois, riche ou pauvre, faible ou puissant, petit ou grand de ce monde, embellis tes pensées par la culture de l’esprit, par la contemplation assidue de la beauté ! »

Cette voix, ce cri, nos bergers l’ont entendu. Eux aussi, ils se sont occupés d’embellir leur vie. Ils ont adressé au Ciel la prière de Socrate : « Puisse la Divinité répandre un peu de beauté dans mes pensées et dans mon cœur ! »