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Il convient de remarquer au surplus que, depuis la mise en vigueur de la représentation proportionnelle, la droite, en dépit des services rendus, de l’ordre et de la prospérité qu’elle a assurés à la Belgique, a constamment perdu du terrain. En 1900, sa majorité a subi une première chute. Passée de 72 voix à 20 voix, elle est tombée ensuite à 12 voix, puis à 8. Certes, son intransigeance scolaire et sa stérilité militaire y sont pour quelque chose. Pour quelque chose aussi la concentration des libéraux dont les deux fractions, la modérée et la radicale, se sont réconciliées dans la tonifiante atmosphère de l’opposition. Mais plus que ces causes extérieures, la division interne explique une décadence aussi continue. L’évolution de la droite vers la politique sociale, les organisations ouvrières et paysannes auxquelles elle a présidé, — les Boerenbonden par exemple, — ont introduit dans ses rangs des élémens nouveaux avec lesquels il a fallu compter. Peu à peu la confiance des masses dans un dogme invariable s’est ébranlée. L’œuvre de combat finie, on a cherché le programme commun et on ne l’a pas trouvé. C’est pour cela que, depuis le grand ministère Beernaert de 1884 à 1894, les hommes se sont usés si vite. C’est pour cela que le premier Cabinet Smet de Nayer, le ministère Vandenpereboom, le second Cabinet Smet, le ministère d’« union indéfectible » de M. de Trooz, celui enfin de M. Schollaert n’ont jamais connu une heure de sécurité. La rupture qui a éclaté en 1909 était depuis longtemps virtuelle. La tunique sans couture est déchirée. À quoi bon la réparer, si elle doit se rompre de nouveau ? La Belgique est au seuil de formules inédites de majorité, qu’il est trop tôt pour définir, mais dont l’imminence n’est point douteuse.

Qu’est-ce au surplus, dans l’existence d’un peuple, qu’une formule de majorité, même quand elle a duré vingt-cinq ans ? La vie ne connaît point de formes invariables. La Belgique a vécu longtemps avec deux partis. Elle peut vivre avec plus. On peut même vivre sans partis organisés, comme en France. Et au terme de cet exposé de l’histoire intérieure belge sous le règne de Léopold II, n’est-ce pas le meilleur éloge à accorder au feu roi que de constater l’indifférence que lui a toujours inspirée, prise en soi, la « cuisine » parlementaire ? Il a gouverné avec les libéraux et avec les catholiques sans qu’on lui connût d’attachement ni pour les uns ni pour les autres. Il les a utilisés comme