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dans l’Inde ; je serais bien surpris si on ne la retrouvait pas en Chine. Il faut donc que la pastorale soit autre chose qu’une pure convention ou qu’une invention factice de la poésie à bout de ressources et cherchant à tout prix à se renouveler. La pastorale répond à un besoin fréquemment senti, à un besoin inné du cœur de l’homme ; et je dirai quel est ce besoin. C’est ce rêve de l’âge d’or qui est en nous, qui hante notre imagination et travaille notre âme. L’âge d’or ! Il n’a jamais existé, nous le savons ; il n’existera jamais ; et cependant, nous avons besoin de croire qu’il peut exister et ne pouvant le réaliser dans le monde que nous habitons, nous tenons du moins à l’évoquer, à y vivre en rêve. Je parlais des vignettes de l’Astrée. On en trouve une aussi en tête de l’une des Eglogues d’un poète italien du commencement du XVIe siècle, de Girolamo Benivieni. Celle vignette représente un champ stérile ; au bout de ce champ, à l’horizon, le soleil couchant ; sur le devant, le berger Fileno qui prend congé de son ami ; il part poussant devant lui ses moutons, et moutons et berger semblent heureux de partir. — « J’ai résolu, s’écrie Fileno, de fuir les âpres morsures de ce monde criminel. » Qui de nous, je vous le demande, dans un moment de lassitude, d’ennui, n’a entrevu dans ses rêves, n’a appelé de ses vœux, n’a soupiré après cette colline solitaire, cette prairie en pente dont l’herbe ne se fane jamais, après ces sources vives qui ne tarissent point, ce pan de ciel bleu qu’aucun nuage n’assombrit, après ce réduit isolé où rognent éternellement la paix, le calme et l’innocence ?

Mais il est des époques où ce rêve de l’âge d’or sollicite plus fortement les âmes ; où la pastorale est plus particulièrement goûtée et exerce sur les sens un plus irrésistible pouvoir. Ce qui le prouve, c’est que maintenant les pastorales en prose et en vers des XVe et XVIe siècles ne sont guère étudiées qu’à titre de curiosités littéraires. Elles ne trouveraient pas dans le public l’accueil qui leur fut l’ait autrefois. Je ne veux pas parler de l’Aminta du Tasse, qui a d’abord le précieux avantage d’être d’une modérée longueur, et où perce en plus d’un endroit le génie de l’auteur de la Jérusalem délivrée. Mais d’Urfé ! Mais l’Astrée !

Qui se sent de force aujourd’hui à lire l’Astrée d’un bout à l’autre ? Celui-là seul qui s’est proposé d’en entretenir un public qu’il respecte. Certes, je ne veux pas ravaler outre mesure cet