Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/667

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leur altitude, de leur langage et même de leurs écrits, car il en est plus d’un qui en composent.

Je mets de côté quelques obstinés chez qui l’apparition d’un étranger réveille cet orgueil et cette vanité factice si souvent remarqués chez les criminels : en dépit de leurs protestations et de leurs poses, il est rare qu’on n’aperçoive pas dans ceux-là la brute insuffisamment pacifiée. Auprès de leurs concitoyens du dehors, ils ne peuvent plus s’offrir aucune de ces satisfactions malsaines que la France prodigue à un si grand nombre de ses condamnés. Les précautions sont prises pour que la Belgique n’entende plus parler d’eux. J’en ai eu, il y a peu de temps, une preuve décisive. Il y a dans la prison de Louvain un prisonnier dont je parlerai bientôt, héros d’une cause très célèbre et qui est là depuis vingt-sept ans. Il avait été assez habile pour se faire défendre par deux avocats, dont l’un est devenu l’une des gloires du parti catholique, dont l’autre est encore un des plus vaillans champions du socialisme. Or un membre de ce dernier parti, un député des plus connus, s’intéressant à la question de la répression et voulant savoir l’effet du régime pénitentiaire de son pays, en était réduit à me demander : « Dans les visites qu’on vous a permises, avez-vous vu Z… ? Comment l’avez-vous jugé ? Comment vous semble-t-il avoir supporté sa détention ? » On comprend que la porte soit un peu moins fermée à certaines catégories d’étrangers. Les détenus le savent ; et quand arrive un de ces visiteurs, les fanfarons dont je parle ne manquent pas de réciter leur boniment (c’est le cas d’employer le mot de l’argot) sur leur condamnation, sur la prétendue insuffisance des preuves dont on s’est contenté, sur les défectuosités de la prison que les étrangers, disent-ils avec ironie, viennent étudier comme un modèle. Ils prennent une pose théâtrale, comptent sur leurs doigts leurs griefs, en se renversant en arrière, bref répètent une leçon plusieurs fois retouchée. Celui qui, dans le temps de mon séjour, réalisait le mieux ce type de hâbleur était un individu dont la France avait fait pour son compte un condamné à perpétuité. Envoyé à la Guyane il s’en était évadé ; puis il avait fait en Angleterre et sur le continent le métier de vendeur de tableaux volés : il avait même été assez habile pour dérober, puis pour placer un Rembrandt et un Teniers. Mais ceux-là sont, à tout prendre, une intime minorité. Dans l’ensemble des hommes qui sont à Louvain depuis quinze, vingt et presque