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maison, étant plus neuve, sera moins sale, — dans les débuts ; elle sera plus confortable, plus aérée, mieux appropriée aux prétentions des délinquans, jeunes ou vieux[1], de l’époque présente, mais elle ne sera pas moins corrompue et corruptrice que la prison d’aujourd’hui.

Plus les adolescens sont jeunes et d’un caractère douteux, plus, je m’empresse de le reconnaître, il convient de leur épargner tout appareil judiciaire, de les traiter paternellement, de les étudier dans l’expansion de leur activité, toujours si personnelle et si libre, c’est-à-dire surtout dans les jeux où s’annonce et se forme le caractère. Que le séjour réservé à ceux qui ont donné quelque inquiétude soit donc un établissement dont la dénomination, dont l’aspect, dont le régime n’annoncent que la charité… avertie, éveillée, mais douce et exempte de toute flétrissure. Plus l’adolescent s’approche de la jeunesse proprement dite, plus il importe, au contraire, de le séparer complètement de ses pareils ; car ni l’intimidation, ni l’ennui, ni les encouragemens les plus cordiaux, ni les leçons de morale et de religion les plus persuasives ne pourront rien, tant que les souvenirs de l’existence irrégulière seront mis en commun et renforcés de jour en jour par les récits des nouveaux venus.

On me demandera : « Sont-ils donc tous aussi coupables et aussi foncièrement mauvais ? N’admettez-vous pas qu’il y ait eu des entraînemens imprévus, des chutes accidentelles ? Ne croyez-vous pas à certaines erreurs de la poursuite, à des infirmités organiques ou morales qui, impuissantes à se défendre, se laissent effrayer par le seul appareil de la police et subissent, sans mot dire, une incarcération ? Ne croyez-vous pas à des perversions apparentes et factices ou même en quelque sorte imposées, mais qui recouvrent un fonds naturel ne demandant qu’à revenir de lui-même à la vie saine ? » Certes oui, je crois à tout cela, car j’en ai vu plus d’un exemple ; mais je crois aussi que ces plaies délicates ne peuvent se diagnostiquer exactement et puis se soigner et se guérir que si on les met à l’abri de l’atmosphère pestilentielle de la vie commune. Autrement, elles perdent vite leur caractère primitif et elles deviennent aussi malignes que

  1. M. l’avocat général Feuilloley passait dans une prison une inspection réglementaire ; un détenu vint à lui pour se plaindre du pain, et, lui montrant le morceau qu’il avait conservé, lui dit : « Monsieur, on ne donnerait pas du pain pareil à des soldats ! » Il se croyait au-dessus d’eux et en droit de réclamer davantage.