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jusqu’alors, reprenait en lui ses droits, — les droits d’une jeunesse intacte qui aspire à s’épanouir. La maladie, dont il ne cessait de subir les atteintes, entretenait sans doute en son âme un peu de cette fièvre, de ce besoin de jouir qu’elle allume souvent chez certaines natures. Sa jeune gloire enfin l’entraînait, l’excitait à cueillir les brillans succès d’amour-propre que lui valaient ses découvertes. La religion plus intellectuelle que sentimentale qu’il s’était forgée ne pouvait pas être pour lui un de ces freins, puissans qui s’imposent à la volonté et viennent à bout des plus intimes résistances. J’imagine aussi qu’Etienne Pascal, dans les dernières années de sa vie, bien loin de détourner son fils des honnêtes divertissemens qu’il lui voyait prendre, devait l’y encourager au contraire, et se réjouir qu’une santé si chère se résignât enfin aux ménagemens légitimes. Qui sait même s’il ne comptait pas un peu sur la vertu de l’exemple pour détacher Jacqueline des pensées de cloître auxquelles, non sans déplaisir, il l’avait vue s’arrêter ? Or, la sœur préférée de Blaise, toujours fidèle à sa vocation, comme pour protester contre le relâchement qu’elle constatait chez son frère, se renfermait dans une solitude de plus en plus claustrale, et peu à peu perdait imprudemment l’influence morale qu’elle n’eût pas manqué d’exercer, si elle ne s’était pas dérobée d’elle-même à la douce intimité d’autrefois Ce fut bien pis après la mort du père. Désemparé, livré à lui-même, secrètement irrité aussi de l’abandon et du départ de Jacqueline, Blaise Pascal se replongea plus impétueusement que jamais dans cette vie toute « séculière » où il trompait son inquiétude.

En quoi consistait exactement cette existence mondaine qui allait provoquer les faciles anathèmes de Port-Royal ? Tout d’abord, les sciences y avaient leur juste part. Les nouveaux amis de Pascal, Méré, le duc de Roanne entre autres, avaient une sérieuse culture scientifique, et, plus d’une fois, ils stimulèrent son zèle et encouragèrent ses recherches ; lui, comme il est naturel, ne demandait qu’à répondre à l’appel de son génie.

Il est probable aussi que les plaisirs proprement mondains, les visites, les réunions élégantes, les conversations spirituelles, le jeu peut-être, la société des femmes figuraient au programme de cette jeunesse éprise d’ « honnêteté, » de vie aimable et facile. Écartons, bien entendu, au moins en ce qui concerne Pascal, toute idée de « libertinage, » au sens