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contraires et que le raisonnement bien conduit portait à les croire, quoiqu’il les faille croire sans l’aide du raisonnement. Ce furent mes propres termes, où je ne crois pas qu’il y ait de quoi blesser la plus sévère modestie. Mais, comme tu sais que toutes les actions peuvent avoir deux sources, et que ce discours pouvait procéder d’un principe de vanité et de confiance dans le raisonnement, ce soupçon, qui fut augmenté par la connaissance qu’il avait de mon étude de la géométrie, suffit pour lui faire trouver ce discours étrange, et il me le témoigna par une repartie si pleine d’humilité et de modestie, qu’elle eût sans doute confondu l’orgueil qu’il voulait réfuter… » Ne saisit-on pas ici sur le vif l’opposition intime, irréductible qui existe entre le véritable esprit chrétien, si défiant à l’égard de la raison raisonnante, si profondément convaincu que la foi n’est point affaire de raisonnement, et ce rationalisme obstiné qui est celui de tant d’apologistes, et qui leur persuade trop aisément que la foi est et doit être au bout d’un syllogisme, comme un corollaire au bout d’un théorème ? De ce rationalisme-là, Pascal, quoi qu’il en dise, est, à cette époque, plus féru qu’il ne le pense.

Ce fut vers le même temps qu’il fut repris plus fortement par la maladie qui le tenaillait. Maladie bizarre, qu’on n’a pas encore étudiée comme elle le mériterait, et qui, jointe aux étranges remèdes dont on la compliqua, l’affligea de douleurs peu communes. « Mon frère, nous dit Mme Perier, ne s’en plaignait jamais, il regardait tout cela comme un gain pour lui. Car comme il ne connaissait pas d’autre science que celle de la vertu et qu’il savait qu’elle se perfectionnait dans les infirmités, il faisait avec joie de toutes ses peines le sacrifice de sa pénitence. » N’exagère-t-elle pas un peu ici ? Et de même qu’elle prête à son frère un désintéressement à l’égard de la science qu’il ne professa que plus tard, ne lui attribue-t-elle pas, sur le chapitre de ses infirmités, une résignation, un stoïcisme joyeux, une ardeur ascétique de mortification, qu’il n’a peut-être pleinement atteints