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noms et les numéros de chaque électeur. La rue est longue, triste, assez déserte, bordée de petites maisons basses à un étage, habitées par un seul ménage, car l’ouvrier anglais ne vit pas comme l’ouvrier français dans un caravansérail. Chacun a son home qu’il paie, me dit-on, de cinq à six cents francs. Nous sommes ici dans un quartier ouvrier, plutôt que dans un quartier pauvre. Notre canvasser commence sa tournée, et il nous assure que la présence de trois Français qui le suivent ne le gêne nullement et ne portera aucun ombrage. Je ne m’imagine pas un agent électoral français faisant sa tournée flanqué de trois Anglais. Nous sommes en chapeau mou et avons cru bien faire. Lui est en chapeau haut de forme ; c’est une politesse pour l’électeur auquel il fait visite. Les fiches qui lui ont été remises ne portent aucune indication quant aux opinions de l’électeur. Le but de ses visites est précisément de s’en informer. Nous allons de porte en porte, sans en sauter une, sauf celles des public houses. Il est notoire en effet que tous les débitans sont pour les Lords, auxquels ils savent gré d’avoir rejeté le Licensing Bill, et ce n’est peut-être pas le plus beau de l’affaire des Lords. Parfois il n’est pas besoin de demander à l’électeur pour qui il est. Le nom du candidat pour lequel sont ses préférences est imprimé sur une étroite bande de papier, rouge si c’est l’Unioniste, bleu si c’est le Libéral et collée à sa fenêtre ou sur sa porte. Notre canvasser, qui porte lui-même une rosette bleue à sa boutonnière, ne s’arrête presque pas chez les électeurs libéraux ; mais le nombre de ceux qui s’affichent comme tels ne paraît pas très grand. Il insiste au contraire quand l’électeur répond qu’il est pour le candidat unioniste. Le canvasser entame alors, sur le pas de la porte, une discussion en règle avec lui. La discussion prend tout de suite une tournure pratique. Mais il n’est question entre les deux interlocuteurs que du Tariff Reform, et nous échangeons, Chevrillon et moi, cette réflexion qu’en France la discussion avec un ouvrier radical ou socialiste prendrait probablement tout de suite une tournure doctrinale et que de grands mots seraient prononcés. Rien de tel ici. L’ouvrier discute d’une façon presque terre à terre, avec des argumens positifs et répond, ma foi ! fort bien, aux argumens libre-échangistes du canvasser. L’un, qui est charpentier, se plaint de la concurrence des cercueils américains qui arrivent pleins d’allumettes. Un autre dit que cela lui est égal de payer un peu