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George, et des socialistes modérés représentés par M. John Burns. Les Anglais ont aussi leur bloc, et ce bloc a ses difficultés pour gouverner. Ses adversaires prétendent que les libéraux sont prisonniers des radicaux, et que les radicaux sont prisonniers des socialistes. Il pourrait bien y avoir quelque chose de vrai, si les choses se passent comme en France. Mais en France nous n’avons pas un groupe anti-patriotique et anti-national ou, du moins, il n’est pas encore, Dieu merci, représenté à la Chambre. En Angleterre, il y a le groupe irlandais, et, pour avoir dans la future ? Chambre une majorité assurée, le bloc anglais en a besoin. Il lui faut donc payer son concours au prix du Home rule.

Dans le grand discours par lequel il a inauguré à Albert Hall la campagne électorale, M. Asquith a promis le Home rule, bien entendu avec des restrictions qui sauvegarderaient la souveraineté du Parlement impérial. Mais les Irlandais lui tiennent la dragée haute, et M. John Redmond, le chef des Irlandais, vient de lui signifier, dans un discours assez insolent, qu’il ne voulait pas entendre parler de ces restrictions. Si les Libéraux reviennent au pouvoir, il leur sera bien difficile de ne pas accorder le Home rule à l’Irlande, et la réalisation des promesses qu’ils ont faites pourra leur créer de singulières difficultés, car les Irlandais n’accepteront pas un Home rule restreint et limité. Aussi, les Unionistes jouent-ils, et c’est leur droit, de cette difficulté contre les Libéraux. Une de leurs nombreuses affiches représente M. Winston Churchill habillé en petit décrotteur. Il est à genoux devant un ouvrier sur le chapeau duquel est écrit le mot « socialisme, » et cire ses souliers. Debout, à côté, se tient John Redmond avec un gros bâton à la main, l’air mécontent, et Churchill lui dit : « Attendez un moment, John, ce sera votre tour tout à l’heure. » La polémique ne prend pas seulement cette forme humoristique, Lord Saville a publiquement accusé M. Lloyd George d’avoir, au moment de la guerre contre les Boers, applaudi, en pleine Chambre des Communes, l’annonce des défaites anglaises. M. Lloyd George a nié le fait dans une lettre publique. Mais lord Saville a répondu, dans une lettre poliment ironique, que l’erreur où il était tombé était excusable, car, pendant la guerre, son contradicteur siégeait au milieu des Irlandais qui applaudissaient. Dans leurs meetings, les Unionistes tirent parti de cette question du Home rule et c’est assurément un atout dans leur jeu.