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étaient rentrés à l’hôtel à pied. Peut-être bien cette différence est-elle pour quelque chose dans la différence de l’accueil. Après souper, j’ai le plaisir de causer assez longtemps avec lord Curzon. Mais la conversation a eu un caractère trop confidentiel pour que j’en puisse rien rapporter, sauf cette observation très juste que la défaite des Lords serait un grand triomphe pour les socialistes de tous les pays, et que la répercussion de cette défaite serait grande en Europe. L’homme est charmant, très cultivé, très lettré. Dans son discours, il n’a pas seulement cité Shakspeare ; il a parlé de Tibérius et de Caïus Gracchus. Je ne m’imagine pas, en France, un candidat, fût-il de l’Académie française comme Barrès ou de Mun, se risquant ainsi, dans une réunion électorale, à des allusions littéraires ou historiques. Lord Curzon ne serait-il pas un orateur beaucoup trop distingué et trop fin pour la démocratie britannique, puisque, décidément, démocratie britannique il y a ? Avec un peu d’inquiétude, je ne puis m’empêcher de me le demander.


Londres, dimanche 9 janvier.

Revenu dans la matinée de Brighton, j’ai pu assister le soir même, dans un faubourg de Londres, à une réunion très intéressante, en tout cas la plus pittoresque de celles auxquelles il m’a été donné d’assister jusqu’à présent.

Les deux réunions de Bath et de Brighton étaient, si j’ose me servir d’une expression aussi familière, des réunions truquées. On n’y entrait que sur carte d’invitation ; elles n’étaient composées que d’amis ; toutes les résolutions étaient votées à la quasi unanimité. Il n’en était pas de même de celle d’hier au soir. Aussi a-t-elle tourné fort différemment, et c’est une vraie bonne fortune pour moi d’avoir été prévenu à temps pour y assister.

J’avais une lettre d’introduction pour l’agent général du Conservative central Office, très ancienne association fondée et maintenue par les Tories depuis un grand nombre d’années. Les bureaux de l’Office sont situés à Saint Stephen Chambers, dans le quartier de Westminster. Ils occupent toute la maison. C’est là que j’ai appris que, le soir même, devait avoir lieu, dans un faubourg de Londres, un meeting unioniste qui serait présidé par le duc de Norfolk. Je demande si le duc de Norfolk, premier pair d’Angleterre et catholique, a quelque raison particulière d’intervenir dans cette élection, et s’il a des intérêts dans