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imprudence aurait suffi alors pour mettre le feu à l’Orient, et, bien que les rapports entre la France et l’Allemagne eussent déjà une allure plus conciliante, il s’en fallait encore de beaucoup que les nuages artificiellement, artificieusement amoncelés sur le Maroc fussent dissipés. Néanmoins, on avait l’impression que personne ne voulait la guerre ; que tout le monde reculait devant ses risques et qu’il suffirait de beaucoup de sang-froid et de quelque habileté pour en épargner l’affliction à l’Europe. C’est à quoi la diplomatie s’est appliquée et a réussi.

L’année s’ouvre sous ces auspices relativement favorables, et nous nous en applaudissons avec M. le marquis del Muni, sans nous faire illusion toutefois sur ce qui reste de fragile et d’aléatoire dans les résultats si péniblement obtenus. Nul ne peut dire ce que nous réserve 1910. Une année nouvelle est comme un enfant au berceau sur lequel on se penche : il y a là de l’inconnu et du mystère, et c’est ce ‘qui fait qu’à chacun de ces renouvellemens, on éprouve le besoin de se recueillir. Puis on est repris par l’action quotidienne et Dieu seul sait où elle doit nous conduire.


C’est surtout du côté de l’Orient que les regards se portent en ce moment. Les dangers de conflits internationaux sont conjurés ou ajournés ; mais la situation intérieure de quelques-uns des États qui viennent de subir des secousses si violentes, ne s’est pas améliorée : elle conserve un caractère révolutionnaire en Turquie et en Grèce. Nous ‘sommes pleins d’une jeune sympathie pour la Jeune-Turquie, et d’une vieille sympathie pour la Grèce : mais comment ne pas reconnaître, à moins de fermer les yeux à l’évidence, que les institutions constitutionnelles, qui datent de dix-huit mois à Constantinople et de beaucoup plus longtemps à Athènes, ne sont qu’un mince paravent qui dissimule mal la réalité du pouvoir militaire exclusif, absolu et irresponsable ?

La chute du grand vizir Hussein Hilmi pacha, à Constantinople, n’a pas surpris, car divers symptômes l’avaient annoncée, mais elle a inquiété, Hilmi pacha s’était acquis l’estime de l’Europe, avant la révolution de juillet 1908, par la manière dont il avait rempli les fonctions difficiles d’inspecteur des réformes en Macédoine, et son attitude, au moment même où la révolution s’est produite, avait encore augmenté ce sentiment en sa faveur. On sait ce qui s’est passé au lendemain de la révolution : la Jeune-Turquie a été tout d’abord représentée au grand vizirat par ce qu’il y avait de plus vieux dans la Vieille-Turquie, par